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La diplomatie vue par un militaire

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Qui lit encore le général Beaufre, à part quelques spécialistes de stratégie militaire ? Une petite plaque honore sa mémoire aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. André Beaufre (1902-1975) entre à Saint-Cyr en 1921 et quitte l'institution militaire en 1961 au terme d'une carrière exceptionnelle : guerre du Rif, état-major de Maurice Gamelin, campagne de Tunisie, campagne d'Italie, deux séjours en Indochine, en Algérie où il commande une division, expédition de Suez, au sein de laquelle il commande les forces terrestres, et Otan.

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Après quarante ans de service, il crée l'Institut français d'études stratégiques (IFDES), entame une carrière de journaliste et publie plusieurs livres. Son Introduction à la stratégie (Fayard, « Pluriel », [1963] 2012) est devenu un classique de la pensée stratégique française. Il y définit la stratégie comme « l'art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».

Après Dissuasion et stratégie (Armand Colin, 1964), il écrit Le drame de 1940 (Plon, 1965) qui vient d'être republié (Perrin, 2020, préface et notes du général Nicolas Le Nen). Ce texte est remarquable. Le général Le Nen, qui dirige actuellement le Commandement pour les opérations interarmées, le présente comme « un cours magistral sur la façon la plus sûre de perdre une guerre ». Homme d'action, Beaufre constate qu'« une vie est très courte au regard de l'élaboration de la pensée » et que la difficulté de l'existence tient à la nécessité d'agir constamment « avant d'avoir eu le temps de comprendre ». Mélangeant souvenirs et réflexions, il cherche à percevoir le sens de l'Histoire et à anticiper les bouleversements du monde pour demeurer maître de son fatum (« destin »). Pour ce faire, il fait l'autopsie clinique de l'effondrement de l'armée française en 1940, qui constitue à ses yeux l'événement majeur du XXsiècle en ce qu'il a accéléré la chute de l'Europe de son piédestal. En le lisant, on pense évidemment à L'étrange défaite (Franc-Tireur, 1946) de Marc Bloch (1886-1944). Les deux livres méritent d'être relus ensemble pour saisir les faillites intellectuelles, politiques, morales et militaires qui ont conduit à l'effondrement.

Beaufre consacre des pages cruelles à l'« analphabétisme politique » des militaires et au général Maurice Gamelin (1872-1958). Il sortit consterné d'une entrevue entre celui-ci et son homologue britannique en juillet 1936, à laquelle il assista comme interprète. À une question sur la raison de la non-intervention française en Rhénanie, Gamelin répondit : « J'avais en face de moi les Allemands avec un million d'hommes. J'ai demandé un million d'hommes. Le gouvernement n'a pas cru cela possible. Il n'y avait plus qu'à attendre une autre occasion. » Tout était dit.

L'intérêt principal du livre, qui le rend très actuel, réside dans l'analyse des mécanismes politico-militaires. Beaufre consacre quatre-vingts pages, particulièrement instructives, à la mission franco-britannique, dirigée par le général Aimé Doumenc (1880-1948) et l'amiral Reginald Drax (1880-1967), qui partit pour Moscou le 4 août 1939. Il y prit part à un rang subalterne : « Notre échec devait être total, entraînant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Cet échec […] devait résulter des contradictions incroyables de notre politique. » L'objectif était de parvenir à un accord tripartite pour soutenir la Pologne et la Roumanie, dès que celles-ci en feraient la demande. Cependant, les instructions données par Gamelin escamotaient le problème essentiel de la relation polono-soviétique. La mission fut reçue par le maréchal Kliment Vorochilov (1881-1969), qui mena la négociation du côté soviétique. Dès les premiers échanges, il posa la question princeps : la Pologne et la Roumanie accepteront-elles l'entrée des troupes soviétiques sur leur territoire pour entrer en contact avec l'ennemi ? Incapable de traiter cette question, en dépit de tractations parallèles avec la Pologne (Beaufre se rendit brièvement à Varsovie), la mission se retrouvait face à une contradiction politico-militaire insurmontable. Les négociations continuèrent jusqu'au 22 août. Le lendemain, le pacte germano-soviétique était scellé. La duplicité soviétique fut la réponse à l'inconséquence franco-britannique. Lire Beaufre, c'est comprendre qu'il ne peut y avoir de succès stratégique sans cohérence des politiques intérieure, étrangère, économique et militaire d'un État. Enseignement à retenir.

 

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Thomas GOMART

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Directeur de l'Ifri