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« La Corée du Nord maîtrise les technologies qui permettent de toucher l’Europe »

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Alors que la Corée du Nord a testé ce week-end ce qui semble être une bombe H, Corentin Brustlein, responsable du Centre des études de sécurité de l'Ifri, souligne que, pour l'instant, les Etats-Unis sont en mesure de neutraliser les missiles de Pyongyang.

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La Corée du Nord a annoncé dimanche avoir réalisé son sixième essai nucléaire, d'une puissance estimée à 50 kilotonnes, soit trois fois plus que la bombe américaine lâchée sur Hiroshima en 1945, selon des responsables sud-coréens. Si ces données sont exactes, ce serait cinq fois plus que lors du précédent test de Pyongyang, mené en septembre 2016. Séoul a riposté lundi par des tirs balistiques, et un projet de résolution sera mis au vote lundi prochain pour alourdir les sanctions envers Pyongyang. 

La Corée du Nord développe-t-elle son arsenal nucléaire seule ?

CORENTIN BRUSTLEIN. Il faut distinguer le domaine nucléaire du domaine des missiles balistiques. A l’origine du programme, mené à partir des années 1950-1960, une aide a été fournie par l’Union soviétique, mais elle a cessé très tôt, et la Corée du Nord était alors loin d’avoir un programme avancé. Il a fallu ensuite plus de 40 ans pour que la Corée du Nord parvienne à réaliser son premier essai, en 2006, sur une base nationale.Il y a cependant une exception à la fin des années 1990 : la Corée du Nord a bénéficié d’un transfert de technologie du réseau clandestin du scientifique pakistanais Abdul Qadeer Khan. On estime que ce réseau, démantelé au début des années 2000, a pu fournir des centrifugeuses pour le programme clandestin d’enrichissement d’uranium de la Corée du Nord. Dans le domaine balistique, la Corée du Nord a échangé avec d’autres Etats, notamment avec l’URSS, la Chine et plus récemment l’Iran. Il y a eu des rumeurs récentes de fourniture de moteurs ukrainiens pour certains missiles balistiques, mais cela n’a pas été confirmé. Aujourd’hui, on peut considérer que la Corée du Nord maîtrise à elle seule la quasi intégralité des technologies et du savoir-faire dans ces domaines.

 

Pyongyang assure pouvoir menacer le monde entier. L’Europe a-t-elle quelque chose à craindre ?

Dans la perspective nord-coréenne, la priorité est de pouvoir exercer une forme de dissuasion directe à l’égard des Etats-Unis. Pour cela, il faut un missile balistique ayant une portée de 11 000 à 12 000 km. Aujourd’hui, cela semble être approximativement le cas. Si les missiles intercontinentaux tirés avaient été testés au maximum de leur portée, la Corée du Nord aurait atteint les Etats-Unis, au minimum la côte Ouest. Maintenant, le régime maîtrise les technologies balistiques qui permettent de toucher les Etats-Unis et l’Europe. Son défi est de les rendre ses forces pleinement opérationnelles pour être capable d’exercer une menace permanente à l’égard des Etats-Unis. Cela implique par exemple la conception d'une arme nucléaire au sommet de missiles balistiques qui soit capable de rentrer dans l’atmosphère, mais aussi de déployer rapidement ces missiles avant qu’ils soient exposés à une première frappe. La Corée du Nord continue d’explorer des pistes, comme tirer des missiles balistiques depuis des sous-marins, ou des lanceurs mobiles terrestres en nombre grandissant.

                                                                                             

Jusqu’où les Etats-Unis peuvent-ils aller ?

En terme de réponse militaire, trois lignes sont poursuivies en simultané, essentiellement par les Etats-Unis mais aussi en partie par leurs alliés. D’abord, densifier la collecte de renseignements au-dessus de la Corée du Nord. Cela passe par des survols satellitaires fréquents et diversifiés, par le positionnement de radars à proximité de la Corée du Nord, au Japon et en Corée du Sud, par des vols d’avions espions à proximité du pays, l’ensemble renforçant la capacité de suivi et d’alerte précoce. Une seconde option est offensive. Elle consiste à faire des frappes pour détruire les bases qu’on aurait localisées. Une telle option n’est envisagée qu’en cas d’urgence extrême, puisque ce serait alors le début d’une guerre. Le troisième type d’option est défensif. Il s’agit de renforcer les systèmes antimissiles, en premier lieu les variantes dites de théâtre, situées en Corée du Sud et au Japon pour les menaces de courte portée et protéger les bases américaines dans ces pays et sur l'île de Guam dans le Pacifique. En outre, Donald Trump a annoncé qu’il voulait aussi renforcer les capacités défensives du continent américain. Mais la marge de manœuvre des Etats-Unis est limitée par les possibilités de représailles nord-coréennes : derrière son discours martial, Trump doit éviter de déclencher les hostilités ouvertes contre un pays qui peut frapper Séoul de multiples manières.

 

Donald Trump brandit l’arme nucléaire. La solution diplomatique est-elle impossible ?

La voie diplomatique ne permettra pas d’atteindre l’objectif d’une dénucléarisation, mais est utile pour continuer d’isoler le régime, en incitant les pays qui commercent avec lui, comme la Chine, à ne plus le faire, tout en empêchant la Corée du Nord de vendre ses technologies sensibles à l’étranger. Quant à la menace brandie par Donald Trump, ne pas exclure l’usage de l’arme nucléaire en réponse à une attaque nord-coréenne est dans la continuité de la position d’Obama, et plus largement des Etats-Unis.

 

La nucléarisation de la Corée du Sud est-elle une piste ?

Il y a deux débats émergeant en parallèle en Corée du Sud, relancés par les progrès nord-coréens mais aussi par les doutes croissants de Séoul quant à la volonté américaine de défendre la Corée du Sud. La question se pose en premier lieu d’avoir des armes nucléaires américaines sur le sol sud-coréen, comme c’était le cas jusqu’au début des années 1990.Cette option est envisageable mais serait controversée politiquement et probablement très onéreuse. L’autre débat porte sur une éventuelle arme nucléaire sud-coréenne. Mais c’est encore plus improbable à ce stade pour beaucoup de raisons. La Corée du Sud devrait sortir du Traité de non prolifération. Elle subirait des pressions de la communauté internationale qui voudrait empêcher d’autres pays de lui emboîter le pas. Alors qu’Obama affichait l’ambition très forte de rassurer ses alliés, Trump a envoyé des signaux parfois désastreux et souvent contradictoires. L’une des fonctions de la protection offerte par les Etats-Unis à leurs alliés est de limiter les incitations à proliférer. Si Washington cesse de fournir ces garanties de sécurité à ses alliés, l’effet sera profondément déstabilisateur.

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Corentin BRUSTLEIN

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Ancien Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri