"La Chine est une cocotte minute", avertit le sinologue Marc Julienne
La vague de contestation en réaction à la politique anti-Covid a pris de court les autorités chinoises depuis fin novembre. Marc Julienne, chercheur à l’institut français des relations internationales et expert de la Chine, estime que le mouvement de protestation marque une étape inédite depuis trente ans en Chine.
L'Usine Nouvelle - Pourquoi les manifestations en Chine ces derniers jours sont inédites?
Marc Julienne - Il n’y a pas eu de mouvement aussi large depuis 30 ans et le soulèvement de la place Tiananmen. Celui-ci s’adresse directement aux autorités centrales du pays et conteste des politiques publiques nationales, ce qui est extrêmement rare. Les mouvements de contestations sont fréquents en Chine. Mais ils ciblent habituellement des responsables régionaux voire des dirigeants d'entreprises sur des sujets ciblés. Là, l’envergure est nationale.
Quelle peuvent être les conséquences pour les autorités chinoises ?
Xi Jinping lui-même est visé dans ces manifestations. La Chine est une cocotte-minute. Depuis trois ans, il y a une accumulation de ressentiment dans toutes les strates de la société, car tout le monde est logé à la même enseigne de la stratégie zéro Covid. On voit d'ailleurs que les mobilisations ont concerné des ouvriers des usines Foxconn, mais aussi des étudiants et des habitants des grandes villes.
Les autorités commencent-elles à revoir leur politique Covid ?
Depuis mi-novembre, il y avait eu des annonces d’assouplissement de la stratégie anti-Covid. Il y a eu une incompréhension, y compris chez les acteurs économiques, de la portée de ces changements. En réalité, la philosophie et la sévérité restent les mêmes. Tous les Chinois ont une application sur leur téléphone. Lorsque leur QR code est vert, ils peuvent circuler au sein de leur province. Lorsqu’il devient jaune ou au rouge, sans que vous sachiez forcément pourquoi, vous ne pouvez plus rien faire. La durée de la quarantaine a été diminuée et la fréquence des tests est passée à tous les deux jours plus tous les jours. Mais circuler à l’étranger ou même entre les différentes provinces reste très compliqué. Les confinements de résidences ou de quartiers entiers restent une réalité.
Peut-on s’attendre à une levée plus rapide que prévu de cette stratégie zéro Covid ?
Ce mouvement exerce de facto une pression sur les autorités centrales. Il y a eu ces derniers jours des assouplissements annoncés dans le Xinjiang, où a lieu l’incendie meurtrier d’Urumqui qui a été l’un des déclencheurs de la colère car les pompiers n'ont pas pu accéder au site à cause des mesures de restrictions. L’expression «zéro Covid» est moins utilisée ces derniers jours par les autorités officielles qui mentionnent maintenant un "ressentiment légitime". Le parti communiste comprend que la situation est délicate. Il est possible qu’il soit contraint de lâcher du lest. Mais en même temps, le nombre de cas a augmenté de façon spectaculaire ces derniers jours et la couverture vaccinale est encore faible, notamment chez les personnes âgées. Les autorités sont prisonnières de leur propre discours sur le Covid. Rouvrir le pays sans mesure de contrôle porterait le risque d’une diffusion massive du virus.
Peut-il y avoir une inflexion plus large de la part des autorités chinoises ?
L’essentiel des manifestations ont eu lieu ce week-end. Depuis lundi, la situation est plus calme, même si des affrontements violents ont encore eu lieu à Canton encore mercredi 30 novembre. Les autorités ne sont pas à l’abri de nouveaux mouvements de contestation, si un autre incident sert de déclencheur. Les cinq prochaines années vont être plus difficiles que les 40 dernières années pour l’équipe au pouvoir. Le contrat social s’érode, alors que le parti communiste va devoir faire face à des défis économiques, démographiques et sociaux inédits.
Comment ces tensions se répercutent sur l’économie chinoise ?
La Chine doit déjà faire face à un ralentissement et à des problèmes structurels qui ne sont pas liés à la pandémie, avec l’effondrement du secteur immobilier. Le Covid a un effet conjoncturel, mais dont la portée va s’inscrire dans le temps car il a contribué à la forte baisse de la confiance des entreprises étrangères et les investisseurs sur les perspectives du pays. Les entreprises étrangères ont du mal à trouver des candidats pour s’expatrier dans leurs filiales chinoises dans les conditions actuelles. D’autres éléments jouent : le climat des affaires est devenu beaucoup plus contraignant. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les entreprises prennent au sérieux le risque géopolitique d’une confrontation avec Taïwan. La Chine devient compliquée pour les acteurs étrangers. Il y a une incertitude politique : Xi Jinping commence un troisième mandat, mais il est encore difficile de voir comment va évoluer la scène politique chinoise.
>> Retrouver l'entretien en intégralité sur le site de L'Usine Nouvelle.
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