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La chaîne RT surfe sur le mouvement des « gilets jaunes »

Interventions médiatiques |

cité par Alexandre Piquard et Alexandre Berteau dans

  Le Monde
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Alors que les contestataires se défient des médias traditionnels, BFM-TV en tête, la chaîne est l’un des rares médias qui trouvent grâce à leurs yeux.

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« Après avoir protesté devant le siège de France Télévisions à Paris, les manifestants "gilets jaunes" ont croisé l'équipe de RT et continué à marcher dans la rue en scandant "Merci RT!" » La chaîne publique russe ne s'est pas privée de mettre en ligne, avec cette description, la courte vidéo filmée par l'un de ses journalistes, samedi 29 décembre 2018. Alors que les contestataires se défient des médias traditionnels BFM-TV en tête, la déclinaison française de l'ex-Russia Today est l'un des médias qui trouvent grâce à leurs yeux.

« Quand j'ai dialogué avec des "gilets jaunes" venus manifester devant BFM-TV, cela m'a frappée qu'ils citent RT parmi leurs références, raconte Céline Pigalle, directrice de la rédaction de la chaîne. A la faveur de ce mouvement, un média qui a tout juste 1 an émerge, en se mettant un peu dans leur roue. »

De fait, RT France revendique un quadruplement de ses vidéos vues sur Facebook au cours du premier mois de mobilisation, à 22 millions, et un triplement sur YouTube. Seulement diffusé sur Internet et les Freebox, le média n'a pas la puissance d'une antenne hertzienne comme BFM-TV, qui, elle aussi, bat des records. « Mais RT comprend parfaitement l'ADN des réseaux sociaux, analyse un journaliste d'une chaîne traditionnelle, mi-inquiet mi-fasciné. Elle ne touche pas le plus grand nombre, mais accompagne une communauté. »

« Sur le terrain, dès que je sors mon micro RT, les "gilets jaunes" viennent me saluer », narre le reporter Lucas Léger. Une sympathie que la chaîne ne manque pas de mettre en scène, en republiant par exemple un extrait dans lequel un « gilet jaune » souhaite un bon rétablissement à « Nadège », une journaliste blessée dans une manifestation. Lachaîne nie toutefois être complaisante. « Si les "gilets jaunes" nous apprécient, c'est parce qu'on leur donne la parole, pas parce qu'on est gentils avec eux », assure Xenia Fedorova, la directrice de RT France.

Le succès récent de RT est avant tout celui d'un format : le live, en direct des manifestations, diffusé parfois jusqu'à dix heures durant sur Internet. Ce flux suggère que « rien n'est coupé » et que « le journaliste n'est pas censuré », note sur Twitter le journaliste de Libération Vincent Glad, qui cite comme autres références médiatiques des « gilets jaunes » Rémy Buisine, producteur de live pour Brut, et Vincent Lapierre, ex-vidéaste pour Egalité et Réconciliation, le mouvement du polémiste antisémite Alain Soral.

Avec ses images d'immersion au coeur des manifestations, RT est parfois accusée de sensationnalisme. « C'est un argument facile pour nous connecter à je ne sais quelle puissance étrangère, balaie Xenia Fedorova. Mais les images de violences sur BFM-TV sont les mêmes. » Reste que RT a toujours couvert activement les mouvements sociaux : manifestations contre la loi travail en France, pour l'indépendance en Catalogne, « Occupy Wall Street » aux Etats-Unis...

  • « Le "soft power" pratiqué par la Russie avec RT ne consiste pas à rendre ce pays plus attractif aux yeux des Occidentaux, mais à délégitimer les démocraties libérales en surmédiatisant les divisions de leur société », estime Maxime Audinet, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI).

Relations tendues avec l'Elysée

La bienveillance des « gilets jaunes » envers RT est aussi liée au casting des invités. Des manifestants ont ainsi reproché à BFM-TV de ne pas accueillir certaines figures du mouvement, dont Etienne Chouard, cet enseignant connu pour sa défense du référendum d'initiative populaire (RIC), mais aussi pour sa dérive conspirationniste ou encore son soutien à Alain Soral. BFM-TV a pris contact avec M. Chouard, en vue d'un portrait. RT, elle, l'avait déjà invité longuement le 10 décembre, puis, de nouveau, le 31 décembre.

« Les "gilets jaunes" savent aussi que nous ne sommes pas bien vus par Emmanuel Macron », sourit Mme Fedorova. En mai 2017, le président français avait qualifié RT et Sputnik « d'organes de propagande mensongère », notamment parce que l'agence russe a relayé des rumeurs sur sa vie privée. Visée par la récente loi sur la manipulation de l'information, RT France conteste diffuser des infox (informations fallacieuses) et a déposé un recours contre la mise en demeure prononcée en juin 2018 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour manquement « à l'honnêteté, à la rigueur de l'information et à la diversité des points de vue » dans un sujet sur la Syrie.

Avec l'Elysée, les relations restent tendues : la chaîne se plaint de ne pas obtenir d'accréditation presse, hormis lors de la venue de Vladimir Poutine à Paris, le 11 novembre. Les ministres restent aussi absents de ses plateaux, même si des députés du parti d'Emmanuel Macron interviennent désormais parfois.

Dans ce contexte, le succès de la couverture des « gilets jaunes » par RT favorise son travail de dédiabolisation. Après avoir nommé à son comité d'éthique l'ex-président de Radio France Jean-Luc Hees, la chaîne a séduit Frédéric Taddeï en juillet. Depuis, l'émission de débats de l'ex-animateur de France 2 attire de nouveaux invités, à l'image de Daniel Schneidermann, le fondateur d' « Arrêt sur images », pourtant critique vis-à-vis de la chaîne russe.

« Aller sur RT, c'est bien sûr participer à légitimer RT mais, sur les chaînes françaises, le débat d'idées est réduit à Ruquier et Ardisson », se justifie le journaliste. Il tient cependant à préciser qu'il a profité de son passage sur « télé-Poutine » pour regretter que sa couverture des « gilets jaunes » contienne trop de « scènes de castagne ».

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Maxime AUDINET