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« Kamala Harris développe une vision résolument optimiste de l’Amérique, loin de la vision apocalyptique du pays présentée par Trump »

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La candidate démocrate a présenté l’image d’une Amérique apaisée lors de son discours à la convention de Chicago, en s’y présentant comme résolument modérée, cherchant avant tout à unir les électeurs, analyse la spécialiste des Etats-Unis.

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Kamala Harris développe une vision résolument optimiste de l’Amérique
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La grande surprise de l’été politique américain aura moins été le retrait tardif de Joe Biden de la campagne (un soulagement pour beaucoup de démocrates) que la révélation soudaine de Kamala Harris. Privée d’initiative depuis quatre ans dans son rôle de vice-présidente, trop facilement taxée d’incompétence sur des dossiers difficiles comme l’immigration, elle a su, fin juillet, s’affirmer immédiatement comme une présidentiable crédible et insuffler une énergie nouvelle à la campagne démocrate. La multiplication de meetings enthousiastes et un montant de contributions décuplé en ont apporté la preuve.

La convention qui s’est déroulée à Chicago du 19 au 22 août a permis à la candidate de renforcer cette dynamique positive, mais surtout de présenter sa vision des Etats-Unis, en détaillant les points de son programme lors de son discours d’investiture prononcé jeudi soir. Kamala Harris s’y affirme comme résolument modérée, cherchant avant tout à unir et apaiser les électeurs. Si elle rappelle le parcours de sa mère, venue d’Inde pour étudier aux Etats-Unis et qui lui a enseigné le courage, Harris ne présente à aucun moment le fait qu’elle-même serait la première femme noire à être présidente en cas de victoire comme un argument de campagne. De fait, elle n’en parle même pas.

Son projet le plus à gauche concerne l’économie, mais reste dans la droite ligne des « Bidenomics » de l’actuel président, voire des propositions de certains trumpistes : il s’agit de restaurer la prospérité des classes moyennes, abîmée par les excès de la mondialisation. Elle prévoit ainsi des baisses d’impôt pour cent millions de ménages aux revenus moyens. Pour le reste, ses propositions sont relativement consensuelles.

Dénonciation en règle de Trump

Harris dénonce ainsi les attaques contre les droits des femmes à disposer de leur corps, ce que les Américains appellent les « droits reproductifs », un thème aujourd’hui accepté bien au-delà de l’électorat démocrate. Autre marqueur centriste, Harris annonce aussi vouloir mieux contrôler l’immigration illégale, en reprenant un projet de loi préparé au printemps par un groupe de sénateurs démocrates et républicains. Très strict, ce texte bipartisan prévoit, entre autres, de pouvoir fermer la frontière avec le Mexique en cas d’arrivées massives de demandeurs d’asile. En mai, Donald Trump avait demandé aux élus de son camp de voter contre ce texte, tant cela lui aurait ôté de carburant populiste pour sa campagne.

Enfin, Harris prend une position médiane sur la question très attendue de Gaza : elle s’engage à maintenir l’alliance américaine avec Israël, mais dénonce également les souffrances infligées à la population civile palestinienne. Il était crucial pour la candidate de répondre aux protestataires de la gauche du parti, même si leurs manifestations en marge de la convention n’ont pas créé de désordre. Les comparaisons avec les émeutes d’août 1968 contre la guerre du Vietnam, lors d’une autre convention démocrate à Chicago, ont tourné court. Reste à voir comment cet entre-deux pourrait se traduire concrètement en cas de victoire…

La candidate démocrate développe plus largement une vision résolument optimiste de l’Amérique, loin de la vision apocalyptique du pays présentée par Trump, loin aussi de la catastrophe prédite par la campagne de Biden en cas de victoire du républicain en novembre (une stratégie qui s’était avérée inopérante). Son discours a certes livré une dénonciation en règle de Trump, exprimée en phrases commençant toutes par le terme juridique « Considérez… », un clin d’œil à son passé de procureure et au lourd passif judiciaire de son adversaire.

Convaincre large

Mais la nouvelle tactique de la campagne démocrate consiste plutôt à dédramatiser la menace Trump en se moquant de lui. C’est ainsi que le colistier de Harris, le gouverneur du Minnesota Tim Walz, s’emploie à qualifier les trumpistes de « trop bizarres » (« just weird »). Malgré sa figure de père sympathique dans une sitcom, Walz a surtout conduit des politiques considérées comme très progressistes dans son Etat du Minnesota. Le candidat à la vice-présidence est donc chargé de séduire la gauche du parti face à une Harris modérée. La stratégie du ticket démocrate est conçue pour convaincre large.

L’animation et l’exposition médiatique des conventions entraînent en général un effet positif dans les sondages. Cette semaine, ces derniers donnent à Harris une avance de 2 points sur Trump au niveau national, et même dans quatre des six swing states (« Etats pivots »), décisifs pour l’élection. L’évolution est positive pour le camp démocrate, mais elle reste insuffisante et fragile. L’état de grâce que connaît Kamala Harris depuis juillet est-il durable ? Alors que le vote anticipé commence dès septembre dans certains Etats, le débat télévisé du 10 septembre entre les deux candidats puis celui du 1er octobre entre colistiers seront scrutés de près.

Harris connaîtra là un nouveau baptême du feu, mais son adversaire, lui aussi, montrera ses défauts. Toujours aussi rageur et versatile, commençant à paraître son âge, le candidat républicain table sur la colère et non sur le raisonnement pour convaincre ses électeurs. Donald Trump se refuse ainsi à présenter un programme précis, tel que le « Project 2025 » préparé pour lui par la très conservatrice Heritage Foundation. Avec le sénateur de l’Ohio J. D. Vance, le choix d’un candidat à la vice-présidence ayant le même positionnement populiste que lui va dans ce sens. La stratégie du camp trumpiste consiste non pas à élargir son électorat vers les modérés, mais à le mobiliser au maximum pour l’emporter dans les swing states les plus cruciaux. Cette stratégie aussi peut fonctionner.

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Laurence Nardon est responsable du programme Amériques à l’Institut français des relations internationales. Elle publie le 28 août Géopolitique de la puissance américaine, PUF, 176 p.

 

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Laurence NARDON

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