Guerre en Ukraine : le grand rapprochement entre Américains et Russes glace les Européens
Après quatre heures de discussion à Riyad, les Russes ont affirmé se sentir « entendus » par les émissaires de l'administration Trump qui voient, eux, « des opportunités extraordinaires ». Volodymyr Zelensky a reporté au 10 mars son voyage à Riyad pour éviter les « coïncidences ». Une deuxième réunion prévue à Paris ce mercredi 19 février.

C'est une scène qui paraissait inconcevable il y a seulement quelques semaines. Les envoyés américains - le secrétaire d'Etat Marco Rubio, le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz et l'envoyé spécial Steve Witkoff, se sont retrouvés face à Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe et du conseiller spécial de Vladimir Poutine, Iouri Ouchakov, à Riyad ce mardi. Les discussions ont duré quatre heures et demie et ont porté sur la reprise de la relation bilatérale - c'est la première réunion à ce niveau depuis 2022 - et sur la fin du conflit en Ukraine.
Très emphatique, Marco Rubio a déclaré aux journalistes à l'issue de la rencontre que « des opportunités extraordinaires existent pour un partenariat » avec la Russie, mais ajouté que « la clé pour y parvenir est la fin de ce conflit » qui inclura une discussion sur les territoires et les garanties de sécurité. Il a par ailleurs admis que les Européens devront prendre part aux discussions sur l'Ukraine , mais Volodymyr Zelensky a immédiatement critiqué depuis Ankara «encore une fois, une rencontre sur l'Ukraine et sans l'Ukraine».
L'idée d'une entrevue entre Donald Trump et Vladimir Poutine fait son chemin, et pourrait se tenir en Arabie saoudite, bien qu'aucune date ne soit encore fixée. « Nous ne nous sommes pas contentés de nous écouter, nous nous sommes entendus », a déclaré Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse à l'issue de la réunion. « Nos intérêts nationaux ne coïncideront pas toujours, mais lorsqu'ils ne coïncident pas, il est très important de réguler ces divergences, de […] ne pas provoquer d'affrontements militaires. ». Donald Trump « peut réamorcer un dialogue utile avec le président Poutine », a estimé Emmanuel Macron à l'occasion d'un entretien avec la presse régionale française. Mardi en fin de journée, Donald Trump a annoncé qu'il rencontrera «probablement» Vladimir Poutine avant la fin du mois de février.
Eviter un nouveau Minsk
[...]
Tous ont en mémoire les négociations infructueuses pour la mise en oeuvre des accords de Minsk signés en septembre 2014 puis en février 2015 (Minsk II) pour faire cesser les combats dans le Donbass. Il faudra des engagements tangibles et vérifiables du côté russe, estime un expert.
«J'ai pu dire au président Trump, que j'ai eu au téléphone avant et après cette discussion (lundi à l'Elysée), que la préoccupation de tous est qu'un simple cessez-le-feu ne résoudrait en rien le conflit. L'histoire récente nous a permis de vérifier que quand il n'y avait qu'un cessez-le-feu, il n'était pas respecté par la Russie », a rappelé Emmanuel Macron à la presse régionale.
« C'est une occasion inespérée pour les Russes, car leur enlisement militaire, au regard de leur niveau de pertes, est patent », observe Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales.
Selon lui, « Trump offre une porte de sortie à Poutine qui a su visiblement imposer son récit dans les perceptions de la nouvelle administration américaine ». « Il joue un rôle décisif pour permettre une négociation et la fin de ce conflit », estime de son côté le président français.
Zelensky « a fait preuve de beaucoup de sang froid à Munich car l'Ukraine joue sa survie, poursuit Thomas Gomart. La Russie n'est pas revenue sur ses ambitions de dénazification et de démilitarisation de l'Ukraine et veut un retour des frontières de l'Otan à avant 1997 ».
[...]
Les Européens sont conscients que c'est un moment crucial pour l'Europe, et que la sécurité du continent est en jeu. Une deuxième réunion est d'ailleurs organisée à Paris ce mercredi, avec la Norvège, le Canada, les pays Baltes, la république tchèque, la Finlande, la Roumanie, la Suède et la Belgique. Mais les positions sont parfois très éloignées. Entre une Giorgia Meloni qui veut jouer les intermédiaires avec l'administration Trump et une Pologne qui voit la Russie à sa porte -et qui dit avoir reçu l'assurance des Etats-Unis du maintien de leurs troupes dans la région-, l'écart est grand.
L'envoi de troupes européennes pour offrir des garanties de sécurité a été jugé prématuré par le chancelier Olaf Scholz. Certains, comme Keir Starmer, le Premier ministre britannique, sont prêts à considérer l'envoi de troupes à condition d'avoir les Américains en troisième ligne.
« Paris, Berlin et Londres ne peuvent pas exclure l'hypothèse que les Russes et les Américains fassent l'impasse sur les garanties de sécurité européenne. Et si les armées européennes doivent se déployer, elles n'ont pas les moyens nécessaires sans l'appui américain », affirme Thomas Gomart.
« Le pire moment »
Selon lui, « il y a un risque majeur à combiner une discussion de cessez-le-feu avec une discussion sur la sécurité européenne car cela arrive au pire moment, lorsque le président français est affaibli, le couple franco-allemand est mal en point, et on n'aura pas de gouvernement allemand avant quelques mois ».
Les Européens « touchent du doigt leur désarmement intellectuel et militaire. Le choc est très fort en Allemagne, pour qui le discours de J.D. Vance est moins important que sa rencontre avec la présidente de l'AfD (extrême droite) à quelques jours des élections », souligne le directeur de l'Ifri qui observe un « moment de convergence idéologique entre Russes et Américains au détriment des Européens ».
>Lire l'article sur le site des Échos
Média

Journaliste(s):
Partager