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Guerre en Ukraine : « La Russie veut affaiblir l’Occident et se retrouve à dépendre de la Chine »

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  La Croix
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L’économie russe résiste aux sanctions grâce à ses réserves financières. Toutefois, elle va devenir de plus en plus dépendante des achats de matières premières de la Chine. Or celle-ci pose ses conditions, explique Tatiana Kastouéva-Jean, de l’Institut français de relations internationales (Ifri).

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Xi Jinping et Vladimir Poutine
Xi Jinping et Vladimir Poutine
Salma Bashir Motiwala/Shutterstock
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Quelles sont les conséquences des sanctions pour l’économie russe ?

Au premier abord, elle a bien résisté, alors que le pays est aujourd’hui le plus sanctionné de l’histoire. Vladimir Poutine pouvait d’ailleurs se vanter, en décembre, d’avoir fait échouer les projets occidentaux de détruire l’économie russe. En 2022, la chute du PIB n’aura été que de – 2,7 %, alors que les pronostics étaient bien plus pessimistes en début d’année. Et le FMI prédit même une petite croissance de + 0,3 % pour 2023.

Le rouble est stabilisé. Il est même à un niveau supérieur, comparé à son cours d’avant la guerre. En dehors de l’inflation de 14 %, qui était déjà là avant le 24 février 2022, la population sent peu l’effet des sanctions au quotidien. Les seuls à en pâtir sont les fines couches sociales aisées et urbanisées, habituées aux produits occidentaux et aux voyages à l’étranger.

Comment l’économie russe a-t-elle pu absorber le choc ?

Plusieurs facteurs ont aidé l’économie russe à tenir : les réserves de change importantes, une politique bien calibrée de la banque centrale et une capacité des acteurs économiques à recréer des chaînes logistiques. Les problèmes sont quand même très nombreux dans différents secteurs : les soins dentaires, l’automobile ou l’aéronautique, du fait du manque de produits occidentaux.

Par exemple, la modernisation prévue du Transsibérien et de la ligne ferroviaire Baïkal-Amour est retardée à cause des sanctions. Le gouvernement russe a autorisé les importations dites « parallèles », c’est-à-dire venant de pays tiers sans l’autorisation du détenteur de la priorité intellectuelle. Plusieurs pays comme la Chine, la Turquie, ou des États post-soviétiques aident la Russie à contourner les sanctions. Il y a des trous dans la raquette… Toutefois, à moyen terme, l’impact de l’embargo sur le pétrole brut et les produits raffinés peut s’avérer bien plus dur.

La Russie a-t-elle les moyens de mener durablement cette guerre ?

À court terme, elle en a certainement les moyens. La Russie s’est bien rempli les poches grâce au prix élevé des hydrocarbures en 2022. Elle a créé un « Fonds de prospérité nationale » qui dispose toujours de 148 milliards de dollars de réserves (139 milliards d’euros), soit 7,8 % du PIB russe en janvier 2023.

Le pays se met en économie de guerre, avec l’essentiel des efforts centré sur les industries de défense. Ces dernières, même si elles ne peuvent fabriquer des équipements de haute précision, parviennent toujours à produire en masse.

Les élites et la société ne contestent pas ouvertement le choix de la guerre. À moyen terme, la question se pose toutefois : en décembre 2022 et en janvier 2023, le budget russe a affiché un déficit important. Le Kremlin a dû piocher dans le Fonds de prospérité nationale, alors que le gouvernement n’y avait pas touché, même pendant le Covid.

Les dépenses dues à la guerre explosent, tandis que les sanctions sur le pétrole et la baisse des ventes de gaz réduisent les recettes. C’est un réel problème pour le modèle économique russe, fondé sur la rente énergétique. Maintenir l’effort de guerre en même temps que la stabilité sociale risque d’être un défi.

Le Kremlin semble vouloir, à la faveur de cette crise, changer durablement les règles du jeu qui prévalaient jusqu'ici. Mais la Russie ne risque-t-elle pas de se retrouver dans une dépendance totale vis-à-vis de la Chine ?

Cela me semble inévitable. Je crois que, en lançant cette invasion, Poutine a révélé un grand paradoxe de sa politique étrangère : il cherchait à affaiblir l’Occident, tout en continuant à en profiter économiquement et technologiquement. Il misait sur la dépendance au gaz russe des marchés européens. Or, contre toute attente, l’Europe a réagi d’une manière forte et rapide, avec des mesures sans précédent. Elle a pu mettre fin à sa dépendance aux matières premières russes et priver Moscou d’un accès à ses technologies.

C’est un vrai bouleversement pour l’économie russe. Le pivot vers l’est, annoncé par le Kremlin en 2014, peut enfin avoir lieu… sauf que la Chine, comme acheteur d’hydrocarbures, n’offre pas du tout les mêmes conditions que l’Europe.

Qu’offre-t-elle ?

La Chine se trouve en situation de dicter les prix et les conditions d’achat. Et en même temps, elle ne peut remplacer l’UE, à court ou moyen terme. Elle ne prend pas les mêmes volumes, ne propose pas le même prix et n’a pas les mêmes capacités à acheminer le gaz russe… La Russie a fourni à la Chine 15,5 milliards de mètres cubes de gaz en 2022. Mais elle en avait vendu 140 milliards à l’UE en 2021, sans compter le gaz naturel liquéfié… Dix fois plus !

Les capacités d’absorption chinoises ne sont pas du tout les mêmes. En tout cas pour l’instant. Elle négocie des remises importantes sur les achats d’autres matières premières, comme le bois. Et c’est vers elle que la Russie se tourne pour obtenir les technologies qui lui manquent, car elle ne les trouve plus en Occident. De ce fait, la Russie devient très dépendante de la Chine. Et la question, alors, est de savoir ce que la Chine voudra faire de cette dépendance, comment elle décidera d’en profiter.

Lire l'interview sur le site de La Croix.

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Tatiana KASTOUÉVA-JEAN

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Directrice du Centre Russie/Eurasie de l'Ifri

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Xi Jinping et Vladimir Poutine
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