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G20 : « La Chine souhaite montrer aux Occidentaux qu’elle est présente », pour Marc Julienne

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interviewé par Lucille Gadler et Mathilde Nutarelli pour

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Le G20, qui a lieu en Indonésie les 15 et 16 novembre, concentre de nombreux enjeux. Celui qui fait le plus de bruit concerne le dirigeant chinois, Xi Jinping, nouvellement prolongé dans ses fonctions. En marge du sommet international, il s’est en effet entretenu longuement avec le président américain Joe Biden, ainsi qu’avec le président français Emmanuel Macron.

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Frederic Legrand - COMEO/Shutterstock
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Retour avec Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Ifri, sur les enjeux qui sous-tendent ces rencontres.

La longue entrevue entre Biden et Xi Jinping le 14 novembre laisse-t-elle entrevoir une réelle accalmie dans les relations Etats-Unis-Chine ? Y a-t-il un changement de ton entre les deux superpuissances ?

Je ne suis pas persuadé que cette entrevue soit le signe d’un changement de ton entre les deux pays. Mais nous pouvons souligner plusieurs choses.

Tout d’abord, il faut saluer ce qui est positif : c’est encourageant que les deux chefs d’État des deux plus grandes puissances mondiales s’asseyent autour de la table et discutent. Cet entretien constitue un signal positif entre Washington et Pékin. On peut y voir la volonté de faire baisser la pression dans la relation entre les deux pays qui, je le rappelle, avait atteint des sommets ces derniers mois,. Pour rappel, la visite de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, à Taïwan en août dernier avait exacerbé les tensions préexistantes. En octobre, les Etats-Unis étaient également à l’origine d’une série de mesures de restrictions sur les exportations de semi-conducteurs vers la Chine, le nerf de la guerre technologique entre les deux pays. C’est dès lors une bonne chose, en dépit de ce contexte, que Joe Biden et Xi Jinping se rencontrent et qu’ils dialoguent. Pour mémoire, c’est la toute première fois que les deux chefs d’Etat se rencontrent depuis l’élection de Joe Biden, il y a de deux ans.

Une fois que l’on a dit ça, il ne faut pas trop attendre de ce sommet. Que ce soit au regard de Taïwan, de l’Ukraine, ou de la guerre technologique : Washington et Pékin maintiennent leurs positions. Il faut même s’attendre à des nouvelles montées des tensions dans les mois qui viennent. Courant 2023 s’ouvrira la campagne présidentielle à Taïwan, une période où la Chine renforce traditionnellement ses pressions à l’encontre de l’île. Par ailleurs, le Congrès américain débat actuellement du Taiwan Policy Act, une loi visant à renforcer le soutien des Etats-Unis à l’île, et les démocrates et républicains rivalisent de propositions pour se montrer les plus durs envers Pékin. Il faudra rester attentif à la réaction chinoise lors de l’adoption de cette loi.

Par ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait eu, à Bali, un changement de ton entre Washington et Pékin. Les discours, tout en étant diplomatiques, sont restés fermes. En témoignent les communiqués officiels de la rencontre : il n’y a pas de proposition nouvelle, chacun campe sur ses positions. Les Etats-Unis maintiennent leurs positions concernant leur forte opposition au changement du statu quo par la force dans le détroit de Taïwan, sur la question de l’Ukraine, des Droits de l’Homme notamment au Tibet, Hong Kong et au Xinjiang. De son côté, Pékin a réaffirmé que Taïwan demeure "une ligne rouge" à ne pas franchir. C’est en cela que cette rencontre ne témoigne d’aucun changement de ton entre les deux superpuissances, mais de la nécessité de renouer le dialogue. Joe Biden a annoncé que son ministre des Affaires étrangères, Antony Blinken, se rendrait en Chine dans les mois qui viennent, sans toutefois préciser quand.

Quel bilan pouvons-nous tirer de cet entretien entre Xi Jinping et Macron ?

Avant la rencontre entre Xi Jinping et Emmanuel Macron, l’Elysée a communiqué sur les objectifs du président de la République lors de cet entretien : convaincre la Chine qu’il est dans son intérêt de faire pression sur la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Je trouve cela naïf voire arrogant de la part de la France. La Chine sait très bien où se trouvent ses intérêts. Elle a maintenu une position constante sur l’Ukraine depuis le début du conflit.

Quelle est cette position ? Xi Jinping est-il l’allié discret de Poutine ?

En réalité, j’ai le sentiment qu’on [la France et les Etats-Unis] entend ce qu’on veut entendre de la part de la Chine, notamment sur l’arme nucléaire ou sur un potentiel changement de position chinoise concernant le conflit ukrainien. Pourtant, si l’on observe les communiqués officiels chinois, il n’y a pas de changement de discours au regard de la guerre. Les éléments de langage sont les mêmes. Depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie, Pékin conserve une position ambiguë. D’un côté, la Chine encourage les pourparlers en faveur de la paix et promeut un cessez-le-feu, sans ne jamais rien faire pour favoriser cette fin de conflit alors même qu’elle possède tous les leviers pour cela. Concernant l’arme nucléaire, la Chine n’a pas changé de position : elle s’y est toujours opposée à son utilisation quand il ne s’agit pas de dissuader une autre puissance nucléaire. Il s’agit d’ailleurs là d’une position générale, qui n’est pas propre à l’Ukraine.
De l’autre, les autorités chinoises n’ont jamais parlé d’invasion russe mais d’opération militaire spéciale, reprenant la sémantique russe. La Chine considère qu’au regard du contexte historique des deux pays, le contentieux ne peut être tranché de façon simpliste. Mais ce soutien reste purement politique : la Chine n’a fait preuve d’aucun soutien militaire ou financier et n’a pas reconnu les régions ukrainiennes déclarées comme indépendantes par le Kremlin.
La Chine reste distante et maintient volontairement cette ambiguïté. Il y a deux éléments d’explications à cela.
Tout d’abord parce qu’elle sait qu’actuellement, elle a plus à perdre qu’à gagner en prenant part au conflit. En affichant un soutien total à la Russie, elle risquerait de se retrouver elle-même victime de sanctions économiques. Parallèlement, la Chine est en rivalité systémique avec l’Europe et les Etats-Unis : elle s’oppose aux démocraties libérales, à l’OTAN, et aux alliances occidentales. Ainsi, elle ne peut donc pas prendre le parti de l’Ukraine, candidate pour rejoindre l’Union européenne, contre la Russie avec laquelle elle entretient une prétendue « amitié sans limite » , qui se caractérise surtout par leur opposition commune aux démocraties libérales.

Toutefois, un changement de position de Pékin face à la crise ukrainienne pourrait être envisagé, notamment au regard de l’arme nucléaire. Si Vladimir Poutine utilisait l’arme nucléaire ou perdait le pouvoir, Pékin se retrouverait en position d’incertitude. Avec comme scénario du pire, un gouvernement prodémocrate à Moscou.
En outre, la Chine fait actuellement face à des priorités autrement plus urgentes sur la scène intérieure et dans son environnement régional immédiat. La Chine n’a à ce jour toujours pas réussi à contenir l’épidémie de covid-19. Avec la succession des confinements qui perdurent encore, la situation sanitaire a engendré une grave crise économique dans le pays. La rivalité avec les Etats-Unis et les tensions dans le détroit de Taïwan sont également un sujet d’attention quotidien pour les autorités de Pékin. Dans ce contexte, la Chine n’a pas intérêt à se mouiller dans la crise ukrainienne, qui lui paraît bien éloignée.

Comment interpréter l’attitude de Xi Jinping avec les Occidentaux ? Est-ce "un retour diplomatique" comme beaucoup de journaux l’ont titré ?

En réalité, je crois qu’il s’agit davantage du retour diplomatique des Etats-Unis dans l’espace Indopacifique et particulièrement en Asie du Sud-est, plutôt que celui de la Chine.
La Chine ne peut pas laisser le champ libre aux Américains dans la région, tout particulièrement au sommet du G20, en l’absence de Vladimir Poutine. C’est dans cet esprit que la Chine a rencontré Joe Biden, mais aussi le président Macron, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte et le Premier ministre australien Anthony Albanese, dont le nouveau gouvernement est très proactif vis-à-vis de l’Asie du sud-est et des Etats insulaires du Pacifique du sud. La Chine souhaitait montrer aux Occidentaux qu’elle était présente.

>> Retrouver l'entretien sur le site de Public Sénat.

 

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Marc JULIENNE

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Directeur du Centre Asie de l'Ifri
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