Futurapolis - Chine-Etats-Unis, une course aux armements sur l’intelligence artificielle
Selon l’expert en géostratégie Julien Nocetti, l’affrontement entre les deux géants sur les technologies de rupture pourrait dégénérer à long terme. Chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), Julien Nocetti est également enseignant-chercheur en relations internationales et études stratégiques aux Ecoles de Saint-Cyr et Coëtquidan.
Ses recherches portent, entre autres, sur l’impact diplomatique des grandes questions numériques et technologiques de notre époque.
Le Point : Quels sont les aspects les plus importants de la compétition technologique entre les Etats-Unis et la Chine ?
Julien Nocetti : La rivalité technologique bilatérale porte avant tout sur la compétition autour des grandes technologies de rupture : l'intelligence artificielle, les ordinateurs quantiques et la 5 G. Au premier chef, l'intelligence artificielle, qui fait l'objet d'une « course à l'armement » entre Pékin et Washington. Pour rappel, la Chine avait annoncé, en 2017, un grand plan pour atteindre l'hégémonie mondiale sur cette technologie à l'horizon 2030. Ça a beaucoup angoissé les Etats-Unis, notamment la Maison-Blanche, et aussi, indirectement, les grands acteurs californiens du numérique, qui se sont tous lancés dans d'importants efforts de rattrapage. Ce n'est pas sans rappeler « l'effet Spoutnik », quand, en 1957, les Américains ont pris conscience que les Soviétiques pouvaient avoir une prééminence technologique sur des secteurs stratégiques. Soixante ans plus tard, nous sommes dans un contexte similaire, où des technologies peuvent faire pencher la balance stratégique et commerciale d'un côté comme de l'autre, à moyen ou long terme, créant ainsi de grands sujets de tension.
Et l'Europe dans tout ça ?
L'Europe est aujourd'hui prise dans un étau entre les écosystèmes technologiques américain et chinois, qui l'enserrent. Pour vous donner un chiffre, l'Europe représente 3 % de la capitalisation technologique boursière mondiale, quand les Etats-Unis prennent 42 % de cette capitalisation. L'asymétrie est flagrante ! Mais il ne faut pas pour autant désespérer, et avoir une lecture trop décliniste de la situation européenne sur ces questions technologiques. Il y a des initiatives de plus en plus soutenues de la part des Européens en matière de capital-risque, et plus largement de financement. Cet aspect a toujours été la plus grande faiblesse européenne. Plusieurs Etats, dont l'Allemagne et la France, ont publié des stratégies nationales en intelligence artificielle qui indiquent une vraie prise de conscience, et des financements assez importants. Enfin et surtout, la Commission européenne va certainement défendre une vision plus affirmée de ces questions technologiques au niveau de l'Union européenne, en partie grâce à Margrethe Vestager, sa nouvelle vice-présidente, qui a une personnalité très volontariste et qui aura la main indirectement sur ces sujets technologiques.
Dans ce contexte de compétition exacerbée, quelle est la probabilité d'un conflit armé entre la Chine et les Etats-Unis ?
C'est une hypothèse qui me paraît assez peu probable à court et moyen terme : les interdépendances commerciales et économiques qui lient la Chine aux Etats-Unis sont très nombreuses. A plus long terme, c'est une possibilité qu'on ne peut pas exclure. Un scénario qui peut sembler réaliste est celui de tensions qui pourraient dégénérer en raison du facteur technologique, et des velléités de maîtrise et de puissance sur un domaine particulier, que ce soit l'intelligence artificielle, la 5 G ou un autre domaine. Ces tensions pourraient structurer des alliances en Asie du Sud-Est et en Asie plus largement, avec des pays qui choisiraient leur camp. La situation pourrait alors dégénérer, et devenir incontrôlable. Il faut cependant noter que la Chine est relativement isolée diplomatiquement en Asie du Sud-Est. Un conflit entre ce pays et les Etats-Unis pourrait prendre la forme d'une guerre maritime, ou d'une cyberguerre !
Retrouvez Julien Nocetti le 15 novembre au Quai des savoirs de Toulouse. Billets gratuits sur www.futurapolis.com.
Propos recueillis par Gabriel Bouchaud
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