Focus sur la Turquie à deux semaines de l'élection présidentielle
À quelques semaines des élections en Turquie, l'avenir politique est plus qu'incertain. Le président Recep Tayyip Erdoğan est plus que jamais menacé par son adversaire Kemal Kiliçdaroglu.
Au pouvoir depuis 20 ans, comme Premier ministre puis comme président, Recep Tayyip Erdogan remet son mandat en jeu dans 2 semaines, le 14 mai, dans un scrutin considéré pour lui comme le plus difficile, et pour la Turquie comme le plus important de son histoire moderne. Erdogan, depuis son entrée en campagne, a multiplié les promesses de reconstruction et les visites aux rescapés du séisme du 6 février. Mais cette aide, retardée de trois jours, ne saurait dissimuler la mauvaise gestion d'une catastrophe qui a fait plus de 50.000 morts, trois millions de déplacés et des centaines de milliers de familles sinistrées.
La Turquie est aussi en crise économique, avec une inflation de 50% sur un an et une livre en chute libre, ce qui rend le coût de la vie insupportable à de nombreux turcs. Face à Erdogan, une opposition unie derrière un seul candidat : Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans, patron depuis 2010 du parti social-démocrate CHP, qui fut celui du fondateur de la République, Atatürk. S'il est élu, Kemal Kiliçdaroglu promet de rendre le pouvoir au Parlement et d’en finir avec la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme.
Et alors qu’on le disait handicapé par ses origines alévies, Kemal Kiliçdaroglu a brisé un tabou il y a quelques jours, en revendiquant son appartenance à cette minorité religieuse, considéré comme hérétique par de nombreux sunnites : « Oui je suis Alévi et je suis un musulman sincère ». Une déclaration à laquelle Erdogan a virulemment répondu : « personne ne t’a demandé quoi que ce soit sur ta secte ou tes croyances. Alors pourquoi ressens-tu le besoin de te présenter devant le peuple avec ton identité sectaire à 74 ans ? »
« L’opposition n’a pas eu le choix de mettre de la religion dans son agenda. Pour gagner les compétitions électorales, il lui faut maintenant garantir que la pratique religieuse continuera d’être libre et qu’on fera ce qu’on voudra en Turquie si on a envie d’être un sunnite nationaliste ou un alévi qui se définit comme alévi. La seule chose qu’on arrive pas du tout à inclure dans le pays à mon sens reste les Kurdes » analyse Dorothée Schmid.
Une autre question identitaire ou ethnique sensible reste celle des Kurdes. Le gouvernement a fait procéder cette semaine à des dizaines d’arrestations dans tout le pays, visant des soutiens présumés au PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme terroriste. Une réponse probable au soutien apporté à Kemal Kiliçdaroglu par le principal parti pro-kurde HDP. Les Kurdes représentent une force politique conséquente puisqu'ils sont environ 15 millions en Turquie, ce qui pourrait jouer un rôle décisif dans les urnes.
"Les grande problématique des Américains aujourd’hui est de comment garder les Turcs de leur côté : du côté occidental au sens large, surtout du côté de l’OTAN et du côté américain, avec quelles concessions faire pour cela. On a donc une administration qui est beaucoup moins critique du côté du président quant aux faits et gestes de Tayyip Erdoğan, un congrès américain qui reste en embuscade et ne passe rien aux Turcs pour le moment, et enfin pour l’OTAN cette idée que les Turcs se vendent comme l’auxiliaire le plus important dans toutes ces régions instables de leur voisinage." décrit Dorothée Schmid sur les enjeux du scrutin quant aux relations internationales.
Invités :
Gaïdz Minassian : journaliste au Monde, docteur en sciences politiques et enseignant à Sciences Po Paris.
Dorothée Schmid : chercheuse, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI.
Jean-François Colosimo : historien des religions et éditeur.
> Retrouver l'intégralité du podcast sur France Culture.
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