Faut-il importer massivement de l’hydrogène vert ou le produire localement ? Le débat fait rage
De nombreux pays, l'Allemagne en tête, entendent importer de très grands volumes d'hydrogène pour décarboner leur économie, depuis des régions du monde disposant d'énergies renouvelables très compétitives. Cette vision d'un commerce longue distance de la molécule verte ne fait pas l'unanimité, notamment pour des enjeux de souveraineté. La France, par exemple, défend une production locale. Au-delà de ces clivages géopolitiques, le transport d'hydrogène renouvelable rencontre un certain nombre d'écueils technique, économique ou encore climatique. Explications.
Importer des quantités massives d'hydrogène renouvelable pour décarboner son industrie et s'émanciper des énergies fossiles russes. C'est ce à quoi travaille ardemment l'Allemagne, qui s'est récemment rapproché du Canada. En septembre, les deux pays ont créé une alliance pour l'hydrogène de part et d'autre de l'Atlantique esquissant les prémices d'un commerce international de cette minuscule molécule considérée comme stratégique pour atteindre la neutralité carbone, essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique.
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Or pour espérer remplacer en partie le gaz et le pétrole fossiles, l'hydrogène propre se doit d'être compétitif. Importations massives vs production locale De l'autre côté de la chaîne, le Canada, le Chili, l'Australie, le Brésil, les pays du Moyen-Orient, du Maghreb ou encore la Namibie se positionnent déjà comme de grands exportateurs d'hydrogène vert. En Europe, l'Espagne et le Portugal réfléchissent également à cette stratégie. Tous présentent des géographies et/ou un climat propices pour produire de l'électricité à partir d'énergies renouvelables (solaire, éolien terrestre et en mer, hydraulique) à très bas coûts.
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La France, par exemple, défend une production locale grâce à des électrolyseurs alimentés, entre autres, par son parc nucléaire. «Tous les experts m'expliquent qu'il serait aberrant de transporter de l'hydrogène de l'Espagne à la France ou l'Allemagne », défendait début septembre, Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat argumentait alors son opposition au projet d'interconnexion gazière MidCat, voulue par l'Espagne, le Portugal et l'Allemagne, et qui pourrait accueillir dans un second temps de l'hydrogène. Au-delà de ce clivage géopolitique, l'échange d'hydrogène sur de très longues distances soulève un certain nombre de questions. La première concerne sa faisabilité technique.
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En effet, l'hydrogène étant un gaz extrêmement léger. Impossible de le transporter à l'état gazeux. Il faudrait des bateaux d'une taille considérable. Il est donc indispensable de réduire sa densité énergétique. Pour cela, il faut le comprimer en le faisant passer à l'état liquide. Or, l'hydrogène ne se liquéfie qu'à partir de -253° avec une pression de 1,0131 bar. Pour y parvenir, l'utilisation de réservoirs cryogéniques s'impose. « Liquéfier de l'hydrogène est très compliqué. Il faut atteindre une température très proche du zéro absolu, de -253 degrés. Et les difficultés grandissent fortement lorsqu'on bascule vers le très froid. A côté, liquéfier du gaz naturel, en descendant à -160 degrés, est assez facile », explique Cédric Philibert, analyste de l'énergie et du climat, associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
L'expert estime par ailleurs qu'une telle opération est « absolument antiéconomique ». « Les réservoirs sphériques pouvant accueillir de l'hydrogène liquide coûtent extrêmement chers », explique-t-il. Un premier navire doté d'un tel réservoir a déjà navigué dans les eaux japonaises. Mais sa capacité est encore très limitée avec seulement 75 tonnes d'hydrogène liquide à bord.
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Selon Cédric Philibert, l'alternative réside dans le transport d'hydrogène incorporé dans des produits semi-transformés, comme de l'ammoniac vert, du méthanol, du kérosène de synthèse et de l'acier vert. Plutôt que de transporter par navire de l'hydrogène sous forme liquide, il serait plus pertinent que les pays disposant d'importantes capacités de production d'hydrogène vert, fabriquent de l'ammoniac ou réduisent directement le minerai de fer grâce à cette molécule, et exportent ensuite ces produits semi-transformés. « Transporter de l'ammoniac ce n'est pas nouveau. On transporte déjà par bateau 10 millions de tonnes par an, dans les mêmes bateaux que le gaz de pétrole liquéfié. Il ne faut descendre qu'à -33 degrés. On pourrait ainsi utiliser les méthaniers. Le minerai de fer peut, lui, se transporter sous forme de briquettes chaudes », explique Cédric Philibert.
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Cédric Philibert tempère néanmoins l'importance de ces importations terrestres à venir. « Je pense qu'on surestime considérablement nos besoins en hydrogène vert. L'hydrogène vert sera utile pour décarboner l'industrie, notamment la sidérurgie et la chimie, et le transport maritime et aérien, mais pas pour le transport terrestre où l'hydrogène est beaucoup moins efficace que les systèmes par batterie », avance-t-il. Selon lui, le gros inconvénient réside dans la faible efficacité énergétique du cycle de l'hydrogène, tandis que les innovations autour des batteries devraient considérablement se développer. « Aujourd'hui, avec la même électricité de départ, un véhicule électrique à batterie parcourt trois fois plus de kilomètres qu'un véhicule à hydrogène », souligne-t-il. La stratégie européenne, elle, mise pourtant largement sur l'importation de la molécule.
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