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Face au risque d’un étau sino-russe, le Japon s’ancre dans le camp occidental

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La décision de sanctionner Moscou et de soutenir matériellement l’Ukraine marque une rupture historique avec la traditionnelle réserve de Tokyo au plan international, analyse Céline Pajon, chercheuse à l’Institut français des relations internationales.

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La guerre en Ukraine a précipité une rupture majeure entre le Japon et la Russie. Face aux condamnations et sanctions de Tokyo, Moscou s’est officiellement retiré, le 21 mars, des pourparlers pour résoudre le contentieux des îles Kouriles, en vue d’un traité de paix. Depuis la fin de la guerre froide, Moscou ne constituait plus une menace pour Tokyo. Affaiblie, la Russie semblait même ouverte à l’idée de rétrocéder au Japon au moins deux des quatre îles des Kouriles sud. Sous souveraineté russe depuis 1945, ces îles, précédemment sous contrôle nippon, sont stratégiquement positionnées au nord de l’île d’Hokkaido et ferment la mer d'Okhotsk. Ce différend territorial a jusqu’alors empêcher la signature d’un traité de paix en bonne et due forme.

Le Premier ministre Shinzo Abe en a fait une affaire personnelle, son père, ancien ministre des Affaires étrangères, étant décédé avant de terminer les discussions lancées en 1990. Sous son mandat à la tête de l’exécutif (2012-2020), il rencontre près de 30 fois Vladimir Poutine dans l’espoir de forger une relation de confiance. Adoptant des sanctions extrêmement modestes après l’annexion de la Crimée en 2014, il propose de surcroit d’investir en Russie afin de favoriser la résolution du contentieux territorial. Un plan de développement conjoint des Kouriles Sud (Territoires du Nord pour les Japonais) est arrêté en 2016, mais ne sera jamais appliqué. De fait, les efforts d’Abe n’y feront rien : la Russie n’a pas cédé une once de souveraineté. Au contraire, elle a renforcé sa présence militaire sur les îles - 3500 hommes - installant notamment des batteries de missiles sol-air S-300 fin 2020.

Shinzo Abe visait également un objectif plus stratégique en se rapprochant de Poutine : éviter que la Russie ne tombe dans l’orbite chinoise, ou a minima, prévenir la constitution d’un front sino-russe face au Japon sur les questions territoriales et historiques. Là encore, c’est un échec : la dépendance économique de Moscou à l’égard de Pékin s’approfondit et les deux pays s’engagent dans une coopération militaire inédite. Ces dernières années, les forces chinoises et russes ont conduit des exercices de grande ampleur en Extrême-Orient. En décembre dernier, des vaisseaux des deux pays ont fait le tour de l’archipel japonais, provoquant une vive inquiétude à Tokyo.

Ainsi le contexte de 2022 est bien différent de celui de 2014. L'agression de l'Ukraine par la Russie outrepassant tous les principes du droit de la guerre et du droit humanitaire, le Japon n'a eu d'autre choix que de sortir de sa passivité. Exit la bien peu fructueuse politique d'Abe, qui avait été reprise sans grand enthousiasme par ses successeurs.

Le Japon s’aligne sur les Occidentaux

La rhétorique se durcit : Tokyo a immédiatement condamné l’agression russe en Ukraine, qui « change le statu quo par la force, de manière unilatérale » - une terminologie habituellement employée pour qualifier les manœuvres chinoises en mer de Chine du Sud et de l’Est. Dans les communications officielles, les Territoires du Nord sont à nouveau présentés comme « partie intégrante » de la nation nippone. La relation avec la Russie devrait donc connaître une profonde réévaluation : la nouvelle Stratégie de Sécurité Nationale annoncée pour 2022 la présentera sans doute comme un pays inamical. Les Orientations de défense en cours d’actualisation, pourraient, quant à elles, freiner le redéploiement en cours depuis une décennie des forces d’autodéfense japonaises du nord au sud-ouest de l’archipel, face à la Chine.

De manière remarquable pour un pays traditionnellement réticent à user de sanctions, et généralement prudent sur la scène internationale, le Japon s’est instantanément aligné sur les Etats-Unis, et plus largement les pays du G7. Démontrant sa solidarité avec les Occidentaux, Tokyo a, dès début février et avant même début du conflit, accédé aux demandes américaines d’envoyer une partie de son stock de GNL pour soutenir les Européens. Et une batterie de sanctions a été adoptée après l’éclatement de la guerre : gel des réserves en yens de la Banque centrale russe, retrait du statut de nation la plus favorisée accordé à la Russie, suspension des exportations de plus de 30 biens vers la Russie, dont les pièces détachées et véhicules d’occasion (plus de la moitié des livraisons nippones à Moscou), entre autres.

Le Japon reste toutefois stratégiquement dépendant de la Russie pour son énergie : il en importe 9% de son GNL, 4% de son pétrole et 14,5% de son charbon. Il n’est donc pour le moment pas question que Mitsui et Mitsubishi se retirent du champ gazier de Sakhaline 2, où des contrats de long terme lui garantissent un gaz peu cher, avec des coûts de transport réduits. Si Tokyo devait se fournir sur le marché mondial, le coût de ses importations de GNL bondirait de 35%.

Des mesures exceptionnelles pour accompagner l’accélération de l’Histoire

L’ampleur de la guerre en Ukraine et la mobilisation occidentale a incité le Japon à prendre des mesures exceptionnelles. Alors que le Japon ne fournit en principe pas de soutien militaire aux belligérants d’un conflit, pour la première fois Tokyo a décidé d’envoyer de l’équipement non léthal (casques, gilets par balles, générateurs, aide alimentaire et humanitaire) en Ukraine où les combats font rage.

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Lire la tribune dans son intégralité sur le site de Libération.

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Céline PAJON

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Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

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