Extrême droite en Allemagne : « L’AfD joue sur un sentiment nostalgique paradoxal »
Les records historiques du parti d’extrême droite allemand (AfD) en Thuringe et en Saxe semblent faire dangereusement basculer l’est de l’Allemagne. Paul Maurice décrypte cette montée du vote radical et d’extrême droite dans l’ex-RDA, terre fertile pour l’AfD qui joue sur un « sentiment nostalgique paradoxal ».
En 1990, le chancelier Helmut Kohl promettait aux Est-Allemands des « paysages florissants » avec l’unité allemande. Mais l’énorme choc social et économique des années 1990 a alimenté une méfiance et des doutes chez une partie de ces habitants de l’ex-RDA. Beaucoup d’entre eux se sont alors attachés à cette société est-allemande à peine disparue et déjà fantasmée en « Ostalgie ».
Pourtant, aujourd’hui, le « rattrapage » économique a bien eu lieu. Au début des années 2000, le chômage dans l’Est dépassait de dix points celui de l’Ouest, l’écart n’est plus que de deux points aujourd’hui. L’Allemagne de l’Est attire des investissements, notamment dans les secteurs stratégiques, comme les batteries électriques ou les semi-conducteurs, facteurs de réussite comme dans la « Silicon Saxony » à Dresde. Mais, malgré ces réussites palpables, le sentiment d’être les laissés-pour-compte de la réunification reste fort chez les citoyens de l’est du pays et se traduit par un vote plus radical.
Le vote AfD : un rejet des réfugiés et de l’immigration
Dès la réunification, l’ancienne RDA a été un territoire de conquête pour l’extrême droite. En 2004, le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) obtenait déjà près de 10 % des suffrages en Saxe et entrait au Parlement régional. Depuis une dizaine d’années, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a su cristalliser les mécontentements et atteint aujourd’hui plus de 30 % des suffrages de l’Est. Pourtant, les électeurs de l’AfD ne sont pas nécessairement les « perdants » de la réunification : ils n’ont pas forcément de faibles revenus ou n’occupent pas nécessairement un emploi dévalorisé.
L’extrême droite joue donc sur un sentiment nostalgique paradoxal. Elle s’appuie à la fois sur un fort anticommunisme et le souvenir de l’opposition radicale au système en 1989-1990 et sur un discours sociétal nostalgique de l’époque de la RDA. En détournant les slogans de la révolution pacifique de 1989-1990, tels que « Vollende die Wende ! » (« Parachevons la réunification ! ») ou « Wende 2.0 » (« Réunification 2.0 »), l’AfD met sur le même plan les grandes manifestations de 1989 qui ont joué un rôle décisif dans le renversement de la RDA et sa propre opposition au gouvernement démocratique en place à Berlin.
Mais c’est surtout la « crise » migratoire de 2015 qui a conduit l’AfD à faire de l’Allemagne de l’Est son nouveau bastion électoral. Ce parti reprend l’idée que les quarante années d’existence de la RDA auraient « préservé » cette partie de l’Allemagne de l’immigration, devenue son thème de prédilection. Ces arguments politiques s’inscrivent dans une stratégie qui décrit l’Allemagne de l’Est comme un lieu d’avant-garde politique et comme « l’Allemagne plus allemande ». Elle s’inscrit en cela notamment dans la rhétorique de Viktor Orban en Hongrie.
Un sentiment de déclassement identitaire
À l’autre extrémité du spectre politique, le parti de l’ancienne élue du parti de gauche radicale Die Linke, Sahra Wagenknecht, combine un discours social très marqué, séduisant les nostalgiques d’une RDA « sociale » et un discours ferme et conservateur sur les questions de société et d’immigration, fustigeant le « wokisme » des partis de gauche.
Sahra Wagenknecht, qui a adhéré quelques mois avant la chute du mur de Berlin au SED, le parti communiste est-allemand, était membre de l’aile radicale de Die Linke, la plateforme communiste. Son parti, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), lancé au début de l’année, veut s’adresser aux « petites gens » et a immédiatement obtenu d’importants succès à l’Est. Née à Iéna en Thuringe à l’époque de la RDA, Sahra Wagenknecht joue elle-même de son identité d’Est-Allemande et une partie de l’électorat se sent représenté par l’une des siens.
Le leader radical de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke, pourtant originaire de l’Ouest, a très bien compris les attentes de cet électorat. L’avant-veille du scrutin, il a posté sur son compte X une vidéo le montrant sur une moto Simson, une marque culte de l’ex-RDA, en indiquant qu’il allait défendre la culture et la « liberté » prétendument perdues lors de la réunification.
Alliant des positions populistes « trumpistes », négationnistes et prorusses, c’est par ce dernier marqueur qu’il joue le plus de l’« Ostalgie ». Dans cette région d’Allemagne, la Russie a longtemps été plus proche, culturellement et politiquement. L’arrêt du soutien militaire à l’Ukraine a été l’un des thèmes de la campagne portée par l’AfD et le BSW. Ces deux partis convergent dans leurs positions sur l’Ukraine : ils sont opposés à la poursuite des livraisons d’armes et prônent des négociations avec la Russie, comme garantie de la paix avec l’Allemagne. Ils renouent par ce discours avec la propagande « pacifiste » du bloc de l’Est.
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