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Etats-Unis/Iran : "Un risque réel d'aggravation de la crise existe"

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interviewé par Paul Véronique pour

  L'Express
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L'attaque de deux pétroliers en mer d'Oman accentue encore les tensions entre Washington et Téhéran, dans un contexte déjà explosif. La tension monte encore d'un cran entre les États-Unis et l'Iran. Jeudi, deux pétroliers ont été la cible d'une attaque indéterminée en mer d'Oman dans le Golfe persique. Un premier tanker norvégien a essuyé trois explosions à son bord, et un autre navire japonais a affirmé avoir été touché par un "objet volant", avant de subir une autre explosion à bord, ont rapporté des témoins.

Contenu intervention médiatique

Les États-Unis ont réagi dès jeudi en accusant l'Iran d'être à l'origine des deux attaques. Lors d'une allocution solennelle, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a incriminé la République islamique. Plus tard dans la journée, le commandement militaire américain a dévoilé une vidéo qui prouverait la responsabilité de Téhéran. Sur les images, on voit un patrouilleur iranien en train d'enlever une mine ventouse qui n'a pas explosé, de la coque d'un des navires attaqués. Donald Trump a renchéri ce vendredi, affirmant sur Fox News que les attaques étaient "signées par l'Iran". 

De son côté, Téhéran a jugé "sans fondement" les accusations américaines, accusant en retour Washington de "sabotage diplomatique" alors que le Premier ministre japonais Shinzo Abe se trouve justement en Iran. 

Dans un contexte déjà explosif, quel peut être l'impact de cette nouvelle crise entre Washington et Téhéran ? L'Express s'est entretenu avec Denis Bauchard, ancien ambassadeur et conseiller Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Dans un contexte déjà explosif, quel peut être l'impact de cette nouvelle crise entre Washington et Téhéran ? L'Express s'est entretenu avec Denis Bauchard, ancien ambassadeur et conseiller Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (Ifri). 

L'Express : L'Iran peut-il se trouver derrière les attaques de deux pétroliers jeudi en mer d'Oman, comme l'affirment les États-Unis ? 

Denis Bauchard : Dans ce domaine, tout est possible. En Iran, il existe de fortes tensions internes et il n'y a pas toujours une ligne directrice claire. Certains services peuvent prendre des initiatives pour mettre le pouvoir politique devant le fait accompli. La ligne du président iranien Hassan Rohani n'est pas toujours celle suivie par les gardiens de la révolution [organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la révolution Ali Khamenei]. On ne peut donc pas exclure que l'initiative ait été prise par ces derniers, bien qu'officiellement l'Iran dise qu'il ne veut pas la guerre. 

D'autre part, il peut aussi y avoir d'autres acteurs de l'ombre difficilement identifiables provenant d'horizons divers, comme cela a pu arriver par le passé. Il existe actuellement un engrenage dans la rhétorique et dans les actes qui peuvent déclencher des affrontements plus directs. Aux tweets bellicistes de Donald Trump, répondent des propos agressifs de l'Iran : cet engrenage rhétorique peut déboucher sur des dérapages et des violences. 

Quelle est l'origine du conflit entre les États-Unis et l'Iran ? 

Les États-Unis n'ont jamais vraiment admis la légitimité de la République islamique d'Iran depuis 1979. Il faut se souvenir que l'un des actes fondateurs de cette révolution a été la prise d'otages, pendant 444 jours, de 54 diplomates dans l'ambassade des États-Unis. Les États-Unis ont donc depuis longtemps un compte à régler avec la République islamique qui à l'époque les a humiliés.

Depuis 1979, les États-Unis ont infligé à l'Iran toute une batterie de sanctions, qu'il s'agisse des administrations démocrates ou républicaines. Le président Obama avait ensuite essayé de normaliser la relation avec la République islamique via l'accord sur le nucléaire iranien en 2015. Mais son successeur, Donald Trump, est dans un tout autre état d'esprit. Dès son discours en mai 2017 à Ryad, il a laissé entendre que sa politique vis-à-vis de l'Iran était celle d'un changement de régime. Il y a aussi eu encore récemment plusieurs déclarations explicites en ce sens de la part du conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, et du secrétaire d'État Mike Pompeo. L'Iran, pour sa part, s'affirme comme une puissance régionale qui entend étendre son influence au Moyen-Orient. 

Depuis l'investiture de Donald Trump, les relations entre les deux pays se sont considérablement dégradées, principalement à l'initiative des États-Unis. L'Agence internationale de l'énergie atomique considère que l'Iran respecte l'accord nucléaire passé en 2015, qui a été avalisé par le conseil de sécurité de l'ONU. Mais Donald Trump n'a eu de cesse de le dénoncer et les États-Unis s'en sont retirés de façon unilatérale. Sous son impulsion, les États-Unis ont également rétabli en toute illégalité des sanctions économiques à portée extraterritoriale qui ont organisé un véritable embargo contre l'Iran. La responsabilité de la crise actuelle repose principalement sur les États-Unis. 

Y a-t-il un risque de guerre entre les États-Unis et l'Iran ? 

L'Iran représente pour les États-Unis une puissance qui veut s'affirmer dans le Moyen-Orient et cela est inacceptable pour eux. À cela s'ajoute le péché originel de la révolution de 1979. Donald Trump considère que l'Iran constitue une menace pour la sécurité des États-Unis et d'Israël. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou déclare pour sa part depuis plusieurs années que l'Iran constitue pour son pays "une menace existentielle". 

Il existe déjà une guerre de l'ombre entre ces pays. Au fil des années, elle a pris diverses formes via des cyberattaques, des assassinats ciblés, ou encore l'encouragement de l'irrédentisme des Kurdes iraniens de la part des États-Unis et d'Israël. De l'autre côté, l'Iran soutient le Hamas [mouvement islamiste palestinien actif à Gaza], et finance le Hezbollah [groupe islamiste chiite et parti politique basé au Liban]. Donc une guerre par procuration existe déjà entre ces pays.

Aux États-Unis, un certain nombre de personnalités comme John Bolton veulent maintenant pousser les Iraniens à la faute. Je ne suis cependant pas sûr que ce soit le point de vue personnel de Donald Trump, qui est souvent violent en rhétorique, mais plus prudent au niveau de l'action. 

En Iran, je pense que certains éléments considèrent que les propos ou les initiatives prises par les États-Unis sont inacceptables et qu'il faut agir. Le problème est de savoir si cet affrontement va arriver à un stade plus violent. Est-ce que des sites sensibles iraniens - pétroliers ou nucléaires - pourraient être visés par l'aviation américaine ou israélienne ? Cela a déjà été envisagé dans le passé et fait partie des options sur la table. Mais il est clair que les effets seraient dévastateurs dans une zone qui est déjà fortement perturbée. 

D'autres pays peuvent-ils contribuer à apaiser les tensions ? 

Il y a des éléments qui vont dans le sens de la conciliation et du calme. L'establishment militaire américain est d'autant plus prudent que les États-Unis sont encore engagés dans un certain nombre de théâtres d'opérations au Moyen-Orient en Afghanistan. Il y a la même prudence de la part de l'armée israélienne. 

Par ailleurs, la Russie, qui a rétabli et renforcé son influence au Moyen-Orient, veut également calmer le jeu. Il en va de même pour la Chine. En effet, si la Russie et la Chine sont alliées de l'Iran, elles ont aussi d'excellents rapports avec Israël. Les relations personnelles entre le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre Benjamin Netanyahou sont particulièrement bonnes. Il ne faut pas oublier qu'en Israël, il y a plus d'un million d'habitants qui sont d'origine russe.

Les Européens ou les Japonais qui dépendent encore fortement des importations de pétrole venant d'Iran, pourraient aussi plaider pour un apaisement. Mais l'Union européenne est actuellement très affaiblie pour des raisons évidentes. Malgré leurs efforts, Angela Merkel comme Emmanuel Macron n'ont pu convaincre Donald Trump de revenir sur sa décision de quitter l'accord sur le nucléaire iranien. 

S'agissant de l'ONU, un règlement supposerait un accord au sein du conseil de sécurité, ce qui apparaît peu probable dans le contexte actuel. Un risque réel d'aggravation de la crise existe, si le camp des boutefeux l'emporte de part et d'autre.

 

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Denis BAUCHARD

Intitulé du poste

Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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