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Envoi de chars à l’Ukraine : «Nous sommes des acteurs indirects de cette guerre, pas des belligérants»

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interviewé par Arnaud Vaulerin pour

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Les alliés occidentaux de l’Ukraine doivent se retrouver vendredi à Ramstein, en Allemagne, pour coordonner un envoi d’armes lourdes, alors que Berlin hésite à autoriser le transfert de ses chars Leopard. Une décision «symbolique» pour le chercheur de l’Ifri Léo Péria-Peigné, qui ne changera pas fondamentalement le cours du conflit mais permettra aux Ukrainiens d’être mieux préparés aux assauts.

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Deutscher Kampfpanzer Leopard 2A, Szczecin, Polen, Januar 2022
Deutscher Kampfpanzer Leopard 2A, Szczecin, Polen, Januar 2022
Mike Mareen/Shutterstock
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La pression monte sur l'Allemagne pour qu'elle autorise la livraison à l'Ukraine de chars d'assaut Leopard. Après des requêtes pressantes de dirigeants finlandais, lituanien, polonais et britannique, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a lancé un «appel à la vitesse» dans la prise de décision, mercredi, au forum de Davos : «La tyrannie avance plus vite que les démocraties.» Tout envoi de matériel de guerre de fabrication allemande doit avoir le feu vert de Berlin, mais le chancelier allemand, Olaf Scholz, tergiverse. Une hésitation encore critiquée par Zelensky jeudi après la sortie d'informations selon lesquelles Berlin ne livrera des chars lourds que si les Etats-Unis livrent des chars Abrams. Ce qui n'est pas «la bonne stratégie à adopter», selon le président ukrainien. La livraison de chars en Ukraine a longtemps fait l'objet de réticences de la part des alliés occidentaux, qui craignaient de fâcher Moscou. Plusieurs partenaires européens de Kyiv ont envoyé depuis le début de l'invasion russe plus de 300 chars soviétiques modernisés. Londres enverra 14 Challenger. Les alliés de l'Ukraine doivent se retrouver vendredi à Ramstein, en Allemagne, notamment pour coordonner cet envoi de chars si Berlin se décide. Chercheur au Centre des études de sécurité de l'Ifri, Léo Péria-Peigné explique pourquoi il ne faut pas se focaliser uniquement sur la question des tanks pour les prochaines phases du conflit. 

Avec la livraison de chars occidentaux parle Royaume-Uni, la France et peut être l'Allemagne, risque-t-on de franchir la ligne rouge et de devenir des belligérants, au risque "d'intensifier" le conflit, comme le dit Moscou ? 

Non. Ce sont des arguments portés par des sources pro- russes, par des gens qui n'ont pas envie de soutenir l'Ukraine en guerre. Je rappelle que Dmitri Rogozine [leader du groupe «les Loups du tsar» et ancien vice-Premier ministre russe, ndlr] a été blessé en décembre à Donestk à la suite d'une frappe de canon Caesar. La France est donc mouillée dans ce conflit depuis avril-mai. Ce n'est évidemment pas l'envoi de chars qui va changer les choses, d'autant que l'Ukraine en a déjà reçu beaucoup de la Pologne et la République tchèque. Varsovie a envoyé au printemps près de 250 chars, ce n'est pas l'acheminement de 14 Challenger britanniques qui nous fait entrer dans une nouvelle ère. C'est symbolique.

Nous ne sommes donc pas belligérants ?

Non. Ce ne sont pas nos troupes qui tuent des soldats. Nous sommes, à mon sens, des acteurs indirects de cette guerre, pas des belligérants.

Ces chars allemands -s'ils sont livrés-, britanniques et français, peuvent-ils faire la différence et raccourcir la durée de ce conflit ? 

Tout dépend du nombre. 14 Challenger ou 14 Leopard ne feront pas la différence, 250 oui. Il faut savoir que pour un char qui fonctionne, il y en a deux à l'arrêt. Si vous en expédiez 100, il n'y en a que 30 qui sont en circulation. Si c'est 250, cela donne une centaine de véhicules utilisables, qui peuvent changer la donne sur le terrain.

Le Leopard allemand, dont on compte 2000 exemplaires, pourrait être livré en Ukraine par l'Allemagne et d'autres pays qui attendent le feu vert de Berlin. Est-ce un tournant dans l'engagement allemand ? 

L'Allemagne n'est pas si mal engagée. L'envoi de chars Gepard, de lance-roquettes multiples Himars et d'autres systèmes avait déjà été très utile. Ces chars ne constituent pas forcément un tournant. Ce sera utile bien sûr, mais c'est l'engagement logistique et munitionnaire qui fera la différence. Pour le chancelier Scholz, ce sera un changement de cap. Etant donné la pression qu'il subit, notamment de la part du vice-chancelier [l'écologiste Robert Habeck, ndlr] favorable à la livraison, j'ai du mal à croire qu'il peut continuer à refuser l'envoi sans perdre la face. S'il cède, il faudra vite monter une filière de remise en état, car dans la plupart des pays dotés en Leopard, comme en Espagne, en Pologne, en Finlande, les chars ne sont pas flambant neufs. On sait que la Turquie en a aussi.

Cela pourrait-il conduire la France à monter en gamme et à envoyer les chars Leclerc, après les AMX-10 RC ?

Cela aurait très peu d'intérêt, à moins de consentir à envoyer plus de la moitié de nos effectifs. Il y a 200 Leclerc en service. En envoyer 14 ne servirait pas à grand chose. Ce serait même un cadeau empoisonné, car les Ukrainiens devraient mobiliser du monde et des moyens pour créer une filière d'approvisionnement en pièces et en munitions pour un parc échantillonnaire. Les Britanniques, avec les Challenger, l'ont fait avec une visée politique, pour contraindre les Allemands à débloquer l'envoi des Leopard. La France aurait mieux à faire en expédiant plus de canons AuF1, de véhicules de l'avant blindé (VAB) ou en apportant son soutien technique et en pièces pour les chars allemands. Les seuls parcs de chars dans le monde susceptibles de dégager un nombre suffisant pour avoir un réel effet opérationnel sont les Leopard I et II et les Abrams américains.

Les Américains n'ont pas annoncé l'envoi de leurs tanks...

Il ne faut pas se focaliser uniquement sur la question des chars. Les tanks seront utiles quand il s'agira de percer des lignes. Pour l'heure, ce sont les véhicules blindés d'infanterie et l'artillerie qui manquent aux Ukrainiens. C'est pourquoi l'annonce, la semaine dernière, de l'envoi de 40 Marder allemands et de 50 Bradley américains est vraiment bienvenue. Quand les Britanniques ont fait leur annonce, tout le monde a beaucoup parlé des 14 Challenger, mais peu des 30 obusiers AS-90, qui permettent pourtant aux Ukrainiens d'avoir une plus grande puissance de feu.

En quoi ces matériels font la différence sur le terrain ?

Quand les Ukrainiens montent un assaut, ils ont tendance à le faire avec des véhicules plus légers par manque de blindés et subissent des pertes qui auraient été évitables avec du matériel adapté. Ils auront aussi besoin de munitions contre les 500000 conscrits qui pourraient être mobilisés en Russie. Pour permettre aux dons occidentaux de donner leur plein rendement, il faut que les flux en pièces et en munitions soient constants, que les centres de réparations dans les pays limitrophes fonctionnent.

Quelle est l'ampleur de la consommation en munitions, en obus ?

Cet été, dans le Donbass, il y a eu des pics côté russe à 60000 obus par jour. Cette densité se réduit parce qu'une bonne partie des stocks ont été consommés. Grâce aux Himars, les Ukrainiens ont pu viser des dépôts de munition russes et en détruire des quantités ahurissantes. Le volume de feu global russe a été réduit même si la Russie a encore un avantage en la matière. Elle a dû en acheter à la Corée du Nord et à en réquisitionner au Bélarus. 

L'arrivée des chars de l'Europe de l'Ouest, qui succèdent aux tanks polonais et tchèques, constitue-t-elle une nouvelle étape dans le conflit après l'utilisation des drones, des lance-missiles, des canons plus légers au printemps ?

Les étapes du conflit ne sont pas dictées parce que livrent les Occidentaux, mais parle terrain. Comme il s'avère qu'il fait beaucoup moins froid que prévu, il est probable qu'une offensive d'hiver n'aura pas lieu rapidement: le terrain n'a pas gelé. La boue va compliquer les mouvements offensifs et l'on comptait sur deux semaines de gel pour un mouvement du front. Rien n'indique qu'il aura lieu. La boue pourrait rester jusqu'à fin mars. Enfin, il va falloir suivre les annonces de la Russie, notamment la mobilisation de 500000 hommes supplémentaires, pour les prochaines phases de la guerre.

> Retrouver l'interview dans Libération.

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Léo PÉRIA-PEIGNÉ

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