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Entre l'Inde et la Chine, « un face-à-face pour l’instant non violent »

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interrogée par Mathieu Ait Lachkar pour

  Libération
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La construction d’une route par Pékin sur le plateau du Doklam, dans la vallée tibétaine de Chumbi, à l’ouest du Bhoutan, tourne à l'affrontement régional. Hier la Chine a appelé son rival à retirer immédiatement ses troupes entrées illégalement sur son territoire.

Contenu intervention médiatique

Elles se regardent en chiens de faïence. Depuis mi-juin, les armées indienne et chinoise s’affrontent dans un face-à-face très tendu dans l’Himalaya. En cause, une route que la Chine a commencé à construire sur le territoire du petit royaume du Bhoutan, voisin de l’Inde. Pékin soutient que cette construction se déroule sur son territoire, ce que contestent l’Inde et le Bhoutan, qui s’inquiètent du renforcement de la présence militaire chinoise dans la région. C’est dans ce contexte que le Président chinois Xi Jinping a déclaré mardi 1er août, lors d’un discours pour le 90e anniversaire de l’Armée rouge, «le peuple chinois est épris de paix. Nous ne viserons jamais l’agression ni l’expansion, mais nous sommes confiants de pouvoir vaincre toute invasion». New Delhi a réagi en déployant des troupes pour interrompre la construction par la Chine de cette route dans le cadre des infrastructures de sa nouvelle route de la soie. Hier, la tension est encore montée d’un cran suite aux menaces brandies par Pékin qui appelle l’Inde à retirer immédiatement ses troupes entrées illégalement sur son territoire.

La mettant également en garde sur ses capacités à défendre sa souveraineté. Pour Libération, Isabelle Saint-Mezard, chercheure associée au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), décrypte les relations entre les deux grandes puissances asiatiques.

Pourquoi y a-t-il de nouvelles tensions entre les deux pays sur l’Himalaya ?

Le face-à-face militaire entre Indiens et Chinois se déroule sur le plateau et le col de Doklam, au sud de la vallée de Chumbi. Cette zone est sensible, car elle est au croisement des territoires indiens (Sikkim), chinois (Tibet) et du Bhoutan. La région de Doklam a déjà été le théâtre de tensions par le passé. En 2008, par exemple, les Chinois avaient détruit des constructions de l’armée indienne non loin du col de Doklam. Mais les principaux points de frictions sur la zone frontalière se trouvaient jusqu’à présent du côté du Ladakh, secteur ouest de la Ligne de contrôle effectif [les deux pays ne parlent pas de frontière mais de «ligne de contrôle actuelle» (LAC) ou «ligne de contrôle effectif» (LCE), dont le tracé n’est pas figé ndlr], et de l’Arunanchal Pradesh (secteur Est). Il faut bien comprendre que du point de vue indien, la zone de Doklam est d’autant plus sensible qu’elle donne accès au couloir de Siliguri, une étroite bande de territoire qui relie la masse indienne à la région du Nord-Est et qui, pour cette raison, revêt une réelle importance stratégique. Les Indiens se sentent en fait très vulnérables au niveau de cette zone. Ils redoutent que la Chine, en cas de conflit, n’intervienne sur cette bande de territoire pour couper l’accès à leur territoire du Nord-Est.

Le Bhoutan est-il au cœur de la crise ?

Le Bhoutan n’est pas à proprement parler au cœur de la rivalité sino-indienne. C’est un Etat qui reste très largement sous l’emprise de l’Inde et avec lequel la Chine n’a pas de relations diplomatiques, précisément parce que New Delhi s’y oppose. La Chine s’efforce depuis quelques années d’accroître son influence sur cet Etat et d’affaiblir la relation privilégiée entre l’Inde et le Bhoutan. La crise actuelle peut se comprendre dans cette perspective.

Quid du rôle des Etats-Unis ? L’Inde a notamment signé un accord de coopération sur le nucléaire civil avec Washington en 2005.

L’Inde s’est rapproché des Etats-Unis depuis la toute fin des années 1990. Le Premier ministre Narendra Modi, arrivé au pouvoir en juin 2014, a accéléré et approfondi la dynamique de rapprochement, notamment dans les domaines de la défense et de la coopération militaire. Mais pour l’instant, les relations indo-américaines s’inscrivent dans le cadre d’un partenariat stratégique. On ne peut donc pas encore parler d’alliance. Autrement dit, les Etats-Unis ne sont liés par aucun engagement concernant la sécurité de l’Inde.

Qu’en est-il alors des accords de Calcutta signés en 1890 par la Grande-Bretagne et la Chine ?

La Convention anglo-chinoise de 1890 définit la frontière entre le Sikkim, alors sous protectorat des Indes britanniques, et le Tibet. L’Inde indépendante (1947 ndlr), qui a récupéré le protectorat sur le Sikkim, avant de l’absorber comme Etat à part entière, a accepté la validité de cette convention dans les années 1950, mais pas le Bhoutan, ce qui pose un premier problème. La frontière entre la Chine et le Bhoutan n’est d’ailleurs pas normalisée dans cette zone.
Autre problème, l’Inde se montre ambiguë par rapport à la convention de 1890 et préfère désormais se référer à un accord qu’elle aurait passé avec la Chine en 2012, au terme duquel les deux voisins s’engageaient à finaliser «les points frontaliers à la tri jonction entre l’Inde, la Chine et des pays tiers […] en consultation avec les pays concernés». En l’occurrence avec le Bhoutan. Ceci exaspère les Chinois qui ont l’impression que l’Inde est revenue sur sa reconnaissance de la validité de la Convention de 1890.
Enfin, la Convention de 1890 créée elle-même de la confusion. Elle repose sur des relevés cartographiques imprécis, voire qui se contredisent. Ce qui n’est pas surprenant au regard de la complexité de la topographie de la zone. Concrètement, le document stipule que la frontière entre le Sikkim et le Tibet commence au «mont Gipmochi», mais toute la difficulté réside justement dans le fait de localiser ce site, et naturellement les interprétations de la Chine et de l’Inde divergent sur ce point.

Jusqu’où le conflit peut-il aller ?

Il s’agit pour l’instant d’un face-à-face non violent entre militaires indiens et chinois, comme il s’en est déjà produit en 2013 et 2014. Mais contrairement à ces deux précédents épisodes, le discours officiel côté chinois est virulent, voire belliciste, et le face-à-face semble parti pour durer. Peut-être faut-il alors s’inspirer de la crise de Sumdorong Chu de 1986-1987 (tri jonction Inde-Chine-Bhoutan, mais sur le flanc oriental du Bhoutan cette fois). Les armées indiennes et chinoises avaient massé leurs forces dans la zone pendant plus d’un an. Bien que vive, la crise n’avait pas donné lieu à des accrochages.

 

Voir l'article sur Liberation.fr

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Isabelle SAINT-MEZARD

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Chercheuse associée au Centre Asie de l'Ifri

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