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"En Syrie, le risque d'engrenage est sérieux"

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Denis Bauchard, ancien président de l’Institut du monde arabe, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri (Institut français des relations internationales), analyse la situation en Syrie après les frappes américaines.

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Avec cette première frappe américaine contre le régime syrien depuis 2011, est-on entré dans une nouvelle phase du conflit ?
Il reste encore beaucoup d'incertitudes et personne n'est vraiment certain des réelles motivations du président Trump, d'autant que ses ministres ont tenu des propos très contradictoires entre la veille de l'attaque chimique et le lendemain du raid américain aux missiles de croisière contre la base aérienne d'Al-Chaayrate. Ma première impression est qu'il s'agit d'une décision de Donald Trump émotionnelle et impulsive, mais qui marque aussi la volonté américaine de ne plus laisser le champ libre à la Russie en Syrie.


Faut-il y voir un changement de stratégie américaine sur le dossier syrien et sur le Moyen-Orient en général ?
Y aura-t-il pour autant de nouvelles frappes américaines en Syrie? La réponse à ces questions n'est pas encore claire, mais il est sûr que la crédibilité du président américain est engagée dans ce dossier.

"Le rapprochement avec la Russie (...) vient de subir un coup d'arrêt"

Cette frappe contre le régime d'Assad ne permet-elle pas cependant à Donald Trump de faciliter le travail de Vladimir Poutine, qui cherche à imposer et accélérer une solution politique au conflit ?
Je ne le crois pas. Je note que les Américains ont veillé à prévenir les Russes avant ce raid de missiles afin d'éviter tout dommage collatéral qui aurait pu nuire aux forces russes, mais, à l'inverse, les Russes ont réagi de façon assez brutale en suspendant l'accord de "déconfliction" militaire entre leurs forces aériennes dans l'espace syrien. Le rapprochement avec la Russie qui s'était esquissé ostensiblement du côté de Donald Trump et que Vladimir Poutine avait souhaité vient de subir un coup d'arrêt, voire une rupture, qui pourrait avoir des conséquences sérieuses.


Mais alors, comment dans ce contexte en rester là si le but n'a pas été atteint ?
Si l'on en reste à cette unique frappe, le régime d'Assad ne sera pas affaibli. Il faudrait d'autres actions pour le déstabiliser. Donald Trump est-il prêt à aller jusque-là? C'est difficile à imaginer sans prendre le risque d'une réelle confrontation avec la Russie. Et cela ne faciliterait pas non plus la négociation politique délicate que les Russes avaient organisée entre le régime de Damas et l'opposition syrienne avec l'aval des Etats-Unis.

"En fait, Donald Trump a fait ce que les Français auraient souhaité que Barack Obama fasse en août 2013"

Autrement dit, vous pensez que ce raid américain aura malgré tout des conséquences sur les suites du conflit…
Oui, les perspectives d'un accord politique s'éloignent avec cette frappe alors que, jusqu'à présent, les Etats-Unis semblaient sous-traiter le dossier syrien aux Russes. Il y a donc là comme un basculement. S'agissant d'un territoire sous influence soviétique puis russe depuis des décennies, les Russes ne peuvent pas clairement laisser les choses en l'état. D'autant que la frappe américaine a été ordonnée hors du cadre des Nations unies, c'est-à-dire sans légitimité internationale. Techniquement, la Russie a les moyens d'empêcher ou de limiter la prochaine frappe américaine s'il devait y en avoir une nouvelle. Mais il existe aussi le risque d'un engrenage dangereux, des forces spéciales américaines étant déployées en Syrie.


Doit-on craindre aussi que la coopération entre Russes et Américains dans la lutte contre Daech en Syrie soit gelée ?
Il est clair que ce qui vient de se passer ne va pas favoriser cette coopération, bien que la Russie soit restée jusqu'à présent modeste dans ses attaques contre le groupe Etat islamique. Mais la frappe américaine pourrait aussi avoir un impact sur l'autre allié de la Syrie, l'Iran, sans qui rien n'est possible en Irak, notamment à Mossoul où les forces spéciales américaines sont très présentes.


Que devraient faire la France et les Européens en cas d'engagement plus poussé et plus brutal des Etats-Unis en Syrie contre le régime de Bachar El-Assad ?
En fait, Donald Trump a fait ce que les Français auraient souhaité que Barack Obama fasse en août 2013. Mais ce que pensent aujourd'hui la France ou le Royaume-Uni sur la Syrie n'a que peu d'influence sur les décisions de Donald Trump, et l'Union européenne est encore plus marginalisée dans cette crise. En soutenant cette réaction de Trump, la France reste fidèle à la politique syrienne de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, qui ont toujours considéré le départ de Bachar El-Assad comme indispensable à toute solution politique du conflit. Mais je ne suis pas certain que, au cas où Donald Trump souhaite aller plus loin dans la riposte contre le régime syrien, quiconque ait les moyens d'y mettre des conditions pour en atténuer les conséquences.

 

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Denis BAUCHARD

Intitulé du poste

Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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