« En se rendant aux États-Unis, Xi Jinping cherche surtout à relancer les investissements américains en Chine »
Ce mercredi, le président des Etats-Unis, Joe Biden, reçoit son homologue chinois, Xi Jinping, à San Francisco. Une première depuis un an. Rivalité commerciale, dossier taïwanais, conflit ukrainien, climat... Les sujets au menu sont nombreux et suscitent une attente majeure. Peut-être trop ? Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine à l'Institut français des relations internationales, apporte son éclairage.
La dernière poignée de main date d’il y a un an, ce qui en diplomatie, équivaut à une éternité. Mais demain, les présidents Joe Biden et Xi Jinping vont tenter de faire fondre le gel, à l’occasion d’une rencontre à San Francisco, aux Etats-Unis. Celle-ci se tient en marge de l’édition 2023 du Sommet de la coopération économique pour l'Asie-Pacifique (Apec).
L’objectif affiché officiellement par les chancelleries : apaiser la relation sino-américaine, au plus bas depuis la dernière rencontre des deux chefs d’Etat, le 15 novembre 2022 à Bali (Indonésie), à l’occasion d’un G20. Conflits commerciaux, dossier taïwanais, incident du ballon espion chinois, climat, quels sont les points chauds au cœur des tensions entre les deux puissances ?
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LA TRIBUNE - Un an sans rencontre officielle et physique, cela fait long pour Joe Biden et Xi Jinping, à la tête des deux plus importantes économies du monde. Qu’en pensez-vous ?
Marc Julienne – Oui, c’est la raison pour laquelle le premier objectif de cette rencontre, même s’il parait peu ambitieux, est de simplement renouer le dialogue. C’est un réel signe de bonne volonté entre les deux pays. Il faut aussi rappeler qu’il s’agit seulement de la deuxième rencontre en personne entre Xi Jinping et Joe Biden, et que la dernière visite du président chinois sur le sol américain remonte à six ans, sous l’administration Trump. Malgré les fortes tensions, nous avons vu ces derniers mois de nombreux efforts diplomatiques de la part des Etats-Unis. La Chine a reçu la visite de plusieurs hauts représentants de l’administration américaine, parmi lesquels le secrétaire d’Etat Antony Blinken ou la cheffe du Trésor Janet Yellen.
Les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis n’ont jamais été aussi fortes. Est-ce que cette rencontre va les apaiser ?
C’est l’un des objectifs visés en tous cas. Et c’est sans doute l’argument qui a convaincu Xi Jinping à se rendre à San Francisco. En effet, l’économie chinoise se trouve dans une situation difficile actuellement avec de nombreux voyants qui sont passés au rouge : ralentissement structurel de la croissance, baisse de la demande mondiale, chômage élevé chez les jeunes, crise du secteur de l’immobilier. Dernier indicateur alarmant en date : au troisième trimestre 2023 les investissements directs étrangers en Chine étaient négatifs (-11,8 milliards USD).
La priorité pour Xi Jinping est donc de rassurer les investisseurs américains.Ce mouvement de désinvestissement s’explique par un environnement des affaires de plus en plus contraignant pour les entreprises étrangères en Chine, ainsi que par les restrictions américaines aux exportations et investissements vers la Chine dans les domaines technologiques (semiconducteurs, IA, quantique).
Il y a un espoir autour de la coopération climatique entre la Chine et les Etats-Unis. La semaine dernière, les deux administrations ont eu des discussions fructueuses sur le sujet, avec comme horizon la COP28. Pensez-vous que des annonces positives sont attendues sur ce volet ?
Je comprends cet espoir et le potentiel de coopération dans ce domaine, néanmoins je resterai peu optimiste sur le sujet. Et ce, pour deux raisons. Au niveau de la coopération interétatique, les engagements de chacun sont très fragiles. La Chine a déjà largement dévié de ses engagements de 2015, et en cas de victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine de 2024, les engagements de l'administration Biden seraient réduits à néant.
Au niveau industriel ensuite, se joue en réalité une compétition sino-américaine sur le marché des énergies renouvelables, plus qu'une coopération. La Chine a pris une large avance en développant une industrie très compétitive, en particulier dans le photovoltaïque. En réponse, les Etats-Unis ont lancé l'année dernière l'Inflation Reduction Act (IRA) pour rattraper leur retard. Celui-ci a débloqué une enveloppe de près de 370 milliards de dollars pour soutenir une nouvelle politique industrielle verte. L'objectif de chacun est de réduire toute dépendance extérieure en matière de technologies d'énergies renouvelables.
Joe Biden et Xi Jinping ont aussi prévu d'aborder le fléau du fentanyl, un opioïde responsable d'un grand nombre de morts aux Etats-Unis, notamment chez les jeunes. Pour quelle raison ?
Oui, la Chine est accusée d'être le grand pourvoyeur de fentanyl de l'économie sous-terraine américaine des opiacés aux Etats-Unis. Il s'agit actuellement de l'enjeu de santé public numéro un, et Joe Biden cherchera à obtenir une coopération plus active de son homologue pour contrôler la production et l'exportation de ses substances vers l'Amérique.
Les deux chefs d’Etat prévoient de parler de coordination militaire. Que se passe-t-il sur ce volet ?
Depuis 2021, la Chine a fermé les canaux de communication directe avec l’armée américaine. Or, les activités militaires chinoises et américaines augmentent significativement en Asie de l’Est, et avec elles le risque d’incident, d’accident ou d’erreur d’interprétation. En cas d’incident, ce type de canal de communication permet de dissiper d’éventuels malentendus et de maitriser une éventuelle escalade. Les Américains appellent Pékin à rouvrir ces canaux, mais ce dernier use de son silence comme un levier de pression sur Washington.
Justement, le dossier de Taïwan est-il susceptible d’avancer durant cette rencontre ?
Je pense que non. Sur ce dossier, les deux nations campent sur leur position. Côté chinois, aucun compromis n’est possible : Taïwan est selon Pékin une province chinoise qui devra être unifiée à un moment ou à un autre, pacifiquement si possible, par la force s’il le faut. De leur côté, les Etats-Unis maintiennent leur doctrine d'ambiguïté stratégique, qui se traduit par un soutien politique et militaire de plus en plus affirmé à Taïwan, à mesure que la coercition chinoise s’accentue. Pékin et Washington espèrent bien sûr des résultats très différents à l’élection présidentielle de janvier à Taïwan. Mais sur cette question, bien que l’action des uns et des autres puissent exercer une certaine influence, le résultat de l’élection appartient aux seuls électeurs taïwanais.
Cette rencontre va-t-elle faire bouger les lignes sur la guerre en Ukraine et la relation qu’entretient la Chine avec la Russie ?
Je crois qu’il ne faut attendre aucune avancée sur ce dossier. Les Américains ont compris que Pékin ne s’engagerait pas davantage, ni vers une médiation, ni vers un soutien militaire à la Russie, et c’est pour eux l’essentiel.
>> Retrouver l'entretien original sur le site de La Tribune
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