En République serbe de Bosnie, une "fête nationale" au parfum de sécessionnisme
Plus de trente ans après la proclamation de leur "République", les Serbes de Bosnie célèbrent mardi leur "fête nationale", une commémoration jugée illégale par le reste du pays, Bruxelles et Washington. Leur dirigeant nationaliste et pro-russe, Milorad Dodik, a choisi de décorer le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, de la plus haute distinction de la République serbe.
L’année dernière, la médaille avait été décernée au président russe, Vladimir Poutine.
C'est une célébration controversée qui entraîne un regain de tension dans les Balkans. Cette année encore, la "Republika Srpska" (République serbe), l'une des deux entités qui composent la Bosnie-Herzégovine, célèbre en grande pompe sa "fête nationale", le 9 janvier. Malgré la désapprobation du reste du pays, de Washington et de Bruxelles. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) juge la célébration anticonstitutionnelle et illégale, tout comme les États-Unis et l'Union européenne.
Lundi, des F-16 américains ont survolé la Bosnie dans le cadre d'entraînements bilatéraux des forces spéciales américaines et de l'armée bosnienne. Une façon de "montrer l'engagement des États-Unis à garantir l'intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine face aux activités (...) sécessionnistes" des dirigeants bosno-serbes, a indiqué l'ambassade américaine à Sarajevo sur X. Depuis la fin de la guerre en 1995, le pays est divisé en deux entités : la République serbe et la Fédération de Bosnie. Les deux régions autonomes sont liées par des institutions centrales faibles.
Trois peuples composent la Bosnie : les Bosniaques musulmans (50 % de la population), les Serbes orthodoxes (30 %) et les Croates catholiques (15 %). La Cour constitutionnelle bosnienne a jugé en 2015 que la fête du 9 janvier était discriminatoire à l'égard des Bosniaques et des Croates.
La date coïncide avec celle de la proclamation de la "République du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine" le 9 janvier 1992, par Radovan Karadzic.
"La déclaration d'indépendance a joué un rôle central dans le déclenchement de la guerre et dans l'éclatement de la Bosnie sur des bases ethniques", explique Florent Marciacq, chercheur associé à l'Ifri (Institut français des relations internationales).
La guerre qui a suivi la proclamation du 9 janvier a fait plus de 100 000 morts et 2 millions de déplacés, soit la moitié de la population bosnienne. En mars 2019, l'ex-leader des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic a été condamné en appel à la perpétuité pour génocide et crimes de guerre par la justice internationale à La Haye, aux Pays-Bas.
Défilé de la police militarisée
"Nous n'avons pas l'intention d'insulter quiconque, ce n'est pas un caprice", a réagi Milorad Dodik, le chef sécessionniste des Serbes de Bosnie, dans un entretien à l'AFP. "Nous avons simplement le droit de marquer le jour que nous considérons comme notre Jour".
Au programme des célébrations ce mardi à Banja Luka, la capitale de l'entité, des discours et des feux d'artifices dans plusieurs autres villes ainsi qu'à Belgrade, la capitale de la Serbie voisine. D'ailleurs, le ministre de la Défense de la Serbie Milos Vucevic et le président du Parlement serbe Vladimir Orlic figurent parmi les invités de Milorad Dodik. Le chef de l'Église orthodoxe serbe, Porfirije, également.
Pour Milorad Dodik, il s'agit de "faire parader aujourd'hui sa police militarisée et d'envoyer un message qui résonne avec son sécessionnisme. C'est une façon d'exprimer son refus de l'autorité de Sarajevo, la capitale du pays, et de l'intégrité territoriale de la Bosnie", affirme Florent Marciacq.
"Chaque année, la parade est marquée par la présence de criminels de guerre condamnés par la justice, mais aussi de représentants des ambassades de Chine et de Russie et de partis européens d'extrême droite, à l'instar du Rassemblement national ou du FPÖ autrichien", poursuit le chercheur.
Le leader bosno-serbe peut compter "sur la droite islamophobe autrichienne voisine, sur l'extrême droite française et sur certains autres membres de la droite européenne", renchérit Edina Becirevic, professeure à la Faculté de sciences politiques de Sarajevo, sur les ondes de Radio Free Europe en bosnien.
Le dirigeant nationaliste a également annoncé mardi la décoration de l'un de ses alliés, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, de la plus haute distinction de la République Serbe. Milorad Dodik est visé par des sanctions américaines et britanniques pour avoir notamment multiplié les menaces de sécession.
"C'est grâce au soutien de Viktor Orban qu'il a échappé à des sanctions de l'Union européenne. Milorad Dodik et Viktor Orban sont amis", souligne Florent Marciacq. Le chercheur évoque une "réelle synergie entre les deux hommes" qui ont en commun de fortes convictions prorusses.
L'ingérence "malveillante" de la Russie en Bosnie
L'année dernière, cette médaille d'honneur a été remise au président russe. Milorad Dodik avait alors loué "l'intérêt patriotique de Vladimir Poutine envers la République serbe". "Je connais Poutine et c'est un grand homme d'État", rappelle-t-il régulièrement. Le leader bosno-serbe s'est d'ailleurs rendu le 17 juin 2022 à Saint-Pétersbourg, où il a rencontré le dirigeant russe.
La célébration de ce 9 janvier sera aussi marquée par la présence des "Loups de la nuit", un groupe de motards ultranationalistes et pro-Poutine ayant juré de protéger l'Église orthodoxe. L'année dernière, Milorad Dodik a salué leur volonté de "rendre la République serbe aussi forte que la mère Russie".
En visite à Sarajevo le 20 novembre dernier, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg s'est inquiété de la "rhétorique sécessionniste" et de l'ingérence "malveillante" de la Russie en Bosnie. L'entité serbe de Bosnie s'oppose d'ailleurs à l'adhésion du pays à l'Alliance atlantique. Tout comme la Serbie voisine, alliée de la Russie, qui entend exercer son influence dans la région.
Pour Florent Marciacq, "Moscou ne recherche pas nécessairement à déclencher un nouveau front militaire dans les Balkans mais à créer une instabilité assez prégnante pour absorber des ressources sécuritaires et diplomatiques des Occidentaux". La région reste un terrain d'affrontement des grandes puissances.
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