Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

En prêtant à l'Afrique, la Chine s'est constitué "une clientèle politique"

Interventions médiatiques |

Interviewé par Nadia Bouchenni pour

  TV5 Monde
Accroche

Entretien. Dimanche 28 novembre se tient à Dakar le Forum sur la coopération sino-africaine. Pour la Chine comme pour les pays africains, l'enjeu est de retravailler une relation aux interêts divergents et complémentaires, qui tend à s'essoufler. Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), répond à nos questions. 

Image principale médiatique
Cérémonie d'ouverture du sommet du FOCAC à Beijing le 3 septembre 2018
Cérémonie d'ouverture du sommet du FOCAC à Beijing le 3 septembre 2018
(c) Paul Kagame/Flickr
Contenu intervention médiatique

TV5MONDE : Sur quelle base repose la relation sino-africaine et comment s'organise-t-elle ? 

Thierry Vircoulon : Cela fait près de 20 ans que cette relation s'est développée. Elle est à la fois économique et politique. La Chine est devenue le premier partenaire économique du continent africain, mais aussi un bailleur très important, certainement le premier même. Elle est aussi un partenaire commercial.

La dimension politique de la relation entre la Chine et l'Afrique est un autre aspect très important. On observe un alignement de nombreux pays africains sur la position de la Chine à l’ONU ou dans les instances onusiennes. 

TV5MONDE : Peut-on parler de soutien politique des pays africains envers la Chine auprès de ces instances ? 

Thierry Vircoulon : En effet. Ce soutien implique le fait de voter systématiquement pour les candidats chinois lorsqu’il faut élire des dirigeants dans les instances onusiennes, comme l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ou d'autres organisations. Le soutien marche aussi dans l’autre sens. La Chine soutient également par son vote les candidats africains dans ces instances. 

 

« La Chine a prêté beaucoup d’argent aux gouvernements africains. C’est une façon comme une autre de se constituer une clientèle politique. » Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

 

TV5MONDE : Il s’agit donc d’un échange de supports commerciaux d’un côté et de soutiens politiques de l’autre ? 

Thierry Vircoulon : Concernant la Chine, il s'agit de supports commerciaux mais aussi de financements. Le pays est le premier bailleur bilatéral du continent africain. Par conséquent, elle a prêté beaucoup d’argent aux gouvernements africains. C’est une façon comme une autre de se constituer une clientèle politique. 

TV5MONDE : Les intérêts chinois et africains sont très différents. Que gagnent les pays africains dans ces échanges ? Se libèrent-ils d’une tutelle européenne ?

Thierry Vircoulon : Si l’on regarde la dimension financière des choses, cela a permis à un certain nombre de gouvernements africains entretenant des rapports tendus avec les institutions de Bretton Wood et le FMI de trouver un bailleur alternatif. Mais cette situation était valable il y a quelques années. Aujourd’hui, la politique chinoise de prêt est en train de ralentir fortement à cause des problèmes économiques que connaît le pays. 

 

« La Chine est perçue comme un grand pays par les Africains, comme un modèle. » Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

TV5MONDE : Y a-t-il des pays plus concernés par ces échanges en Afrique ? 

Thierry Vircoulon : Il y a des pays qui ont plus de relations commerciales et économiques avec la Chine que d’autres, oui. Historiquement, la Chine a développé des relations économiques et politiques avec des pays producteurs de matières premières qui l'intéressaient. Elle s’est donc d’abord orientée vers ces pays pour sécuriser son approvisionnement en matières première. Il y a eu par exemple le Soudan, l’Angola, le Zimbabwe également. L’Angola a été le premier pays dans lequel la Chine a investi fortement, à cause du pétrole, qu'elle a importé massivement. C’est un pays qui aujourd’hui a une dette extrêmement forte à l’égard de la Chine et avec lequel les relations sont les plus étroites. C'est ce genre de pays qui ont été spécifiquement ciblés par la Chine. 

TV5MONDE : Cela a développé une dépendance forte entre ces pays et la Chine ?

Thierry Vircoulon : Évidemment. À partir du moment où la Chine devient le premier client pour l’exportation des matières premières, qui représentent 80% des revenus du pays, la dépendance se crée. Ensuite la dette s’est accélérée à cause de la crise qui frappe de nombreux pays africains. L’Angola comme d’autres, se sont d’autant plus endettés auprès de la Chine. Elle est en mesure de dicter ses règles maintenant. C’est pour cela qu’elle a renégocié la dette de l’Angola en 2020, par exemple, en imposant ses conditions. 

« L’image économique de la Chine en Afrique est bonne, son image politique l’est beaucoup moins. » Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

TV5MONDE : Comment est perçue la présence chinoise par la population africaine ? 

Thierry Vircoulon : Il y a des sondages comme l’Afrobarometer qui posent cette question. Ce dernier montre que la Chine est perçue comme un grand pays par les Africains, comme un modèle, dans une certaine mesure. Mais ils sont aussi inquiets de l’influence qu’elle peut avoir sur leur pays, notamment d’un point de vue politique. Afrobarometer indique globalement que l’image économique de la Chine en Afrique est bonne. Son image politique l’est beaucoup moins. 

TV5MONDE : La Chine est-elle encore perçue comme une destination d’immigration intéressante pour les Africains ? 

Thierry Vircoulon : C’était le cas il y a 10 ans. La politique d’immigration chinoise était très accueillante, les portes étaient grandes ouvertes. Cela a changé aujourd’hui. Ils sont beaucoup plus exigeants à l’égard des migrants africains qui viennent chez eux. Il y a eu un certain nombre d’incidents, notamment à Hangzhou, avec la communauté africaine.

TV5MONDE : La Chine est-elle en situation de leadership en Afrique aujourd’hui ? 

Thierry Vircoulon : Elle est en effet considérée comme un partenaire indispensable dans l’influence économique qui a été la porte d’entrée. Cela a été indispensable pour déployer par la suite une grande influence politique.

>> Lire l'article sur le site de TV5 Monde 

Decoration

Média

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
tvircoulonbw.jpg

Thierry VIRCOULON

Intitulé du poste

Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

Crédits image de la page
Cérémonie d'ouverture du sommet du FOCAC à Beijing le 3 septembre 2018
(c) Paul Kagame/Flickr