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En Libye : ce grand jeu qui n'en finit plus

Interventions médiatiques |

citée par Linda Lefebvre dans

  Paris Match
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Plus d'un an après l'offensive du maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'Est, le destin de la Libye apparaît plus que jamais semblable à celui de la Syrie. Négociations internationales ratées, interventions de puissances concurrentes et emploi de miliciens étrangers. Le spectre d'une crise humanitaire d'ampleur se profile, sur fond de crimes de guerre. 

Contenu intervention médiatique

Aux portes de Tripoli en avril 2019, celui qui mena le combat contre le colonel Khadafi, en 2011, pensait que la victoire ne serait qu’une question de jours. A la tête de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), créée en 2014, et opposé au Gouvernement d’Union Nationale (GNA) dirigé par le Premier ministre Fayez al Sarraj, le maréchal Haftar se rêvait en unificateur d’une Libye éprouvée par huit ans de guerre civile. Pourtant, depuis le mois de mai 2020, l’homme de l’Est perd du terrain. Repoussées de Tripoli, les forces du maréchal craignent la perte de Syrte, verrou stratégique du croissant pétrolier.

 

« Nous sommes en face d’une « syrianisation » de la Libye », déclarait au Sénat le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, le 28 mai 2020. Cette formule résume à elle seule un constat sans appel. Tout d’abord, les difficultés à mettre en place un processus de paix à l’échelle internationale. La conférence de Berlin de janvier 2020, ambitionnant de réunir sous l’égide de l’ONU les différentes parties au conflit au sein du comité 5+5, échoue à faire respecter un cessez-le-feu.

Cette « syrianisation » du conflit se traduit également par l’emploi croissant de milices et de supplétifs étrangers. Ainsi, à l’Est, le maréchal a pu compter sur le soutien des mercenaires russes du Groupe Wagner et de milliers de mercenaires en provenance du Soudan et du Tchad. Du côté de l’Ouest, le gouvernement de Tripoli bénéficie de l’allégeance de diverses milices locales, renforcées par des groupes armés syriens dont le nombre s’élèverait à 8 000 combattants environ. Des combattants syriens seraient aussi rattachés au camp de l’Est. Alors que les deux camps prônaient en 2019 un désarmement des milices, l’escalade du conflit a entraîné une multiplication des bandes armées et l’arrivée de milliers de mercenaires étrangers.

La « syrianisation » de la Libye signifie également le déclin de la diplomatie multilatérale au profit du jeu des puissances. Ainsi, face à un maréchal matériellement soutenu par la Russie, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis, se tient le Président turc, Recep Tayyip Erdogan défenseur du GNA. Ce dernier espère rallier les États-Unis, jusque-là en retrait, contre les intérêts russes. S’affrontant par procuration sur le théâtre libyen, les différentes puissances veulent accumuler les victoires sur le terrain afin de renforcer leur position à la future table des négociations de paix. Comme dans le cas syrien, l’avenir libyen est désormais essentiellement entre les mains de la Russie et de la Turquie.

Le grand retour de la Turquie

Encerclé par les forces de l’ANL, le gouvernement de Fayez al Sarraj paraissait en déclin jusqu’à l’intervention du Président turc.

« C’est quelque chose qui a un peu étonné les observateurs car nous sommes habitués à un interventionnisme de la Turquie dans son voisinage géographique immédiat », indique Dorothée Schmid, responsable du Programme Moyen-Orient et Turquie à l’Institut Français de Relations Internationales (IFRI).« Cela s’inscrit dans un continuité historique. En 2011, avant la crise libyenne, la Turquie était très présente économiquement et il y avait plus de 20 000 travailleurs expatriés turcs en Libye. », précise-t-elle. Au-delà du manque à gagner économique depuis 2011, Ankara s’inscrit dans« une perspective d’influence dans la région méditerranéenne (…) et une compétition de puissance régionale, il y a donc une logique à cette intervention de la Turquie. »

Au niveau diplomatique, la Turquie espère en premier lieu« un gain d’image international »en soutenant le Gouvernement d’union nationale, légalement reconnu par les Nations Unies.

Ainsi,« les Turcs sont du côté du droit et ne perdent pas une occasion de le dire », explique Mme Schmid. Le Président Erdogan compte également sur le succès militaire du camp de l’Ouest afin de rallier le soutien de pays européens, à l’instar de l’Italie.

Alors que le Président turc apparaît comme le nouveau maître du jeu libyen, le ton se durcit entre Ankara et Paris, accusée de soutenir le maréchal Haftar.

« Le dossier libyen arrive sur une pile de contentieux plus ou moins graves entre la France et la Turquie », rappelle Dorothée Schmid. Bien que« le cadre de compréhension général du conflit libyen soit une compétition de puissance, de statut, (…) il y a le contentieux sur la question kurde en Syrie, (…) le contentieux historique sur la reconnaissance du génocide arménien (…) et le contentieux sur Chypre, avec une prise de position du Président français en faveur des chypriotes grecs », résume la spécialiste.

Pour l’heure, si l’intervention de la Turquie a réussi à rebattre les cartes du jeu libyen, les différentes parties au conflit tentent de cumuler les gains militaires en attendant une nouvelle négociation internationale, au détriment de la population libyenne.

Une population prise en étau

La nouvelle escalade des violences en Libye aggrave la crise humanitaire qui a fait des milliers de morts et plus de 200 000 déplacés. Mi-juin, la découverte de charniers dans la ville de Tarhouna, reconquise aux forces de l’Est, laisse paraître le spectre de possibles crimes de guerres. La Cour Pénale Internationale (CPI) n’a pas exclu d’ouvrir une enquête.

Dans le même temps, les victimes civiles de mines antipersonnel semées aux alentours de Tripoli augmentent, ainsi que l’insécurité générale. « Les habitants de Tripoli n’osent plus sortir de chez eux, ils redoutent d’être rackettés ou kidnappés par des groupes armés. Mais le pire, ce sont les mines. », confie Mahmoud, un habitant de Tripoli. Alors que les populations redoutent les expéditions punitives lors des reprises de villes, par un camp ou un autre, aucune perspective de sortie de crise à l’horizon.

 

 

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Dorothée SCHMID

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Responsable du programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri