En Chine, les moteurs du quantique sont moins les géants du web... que l'université
Fin août, Baidu a présenté son premier calculateur quantique et lancé un service cloud dédié. Des technologies plutôt en retard par rapport à celles des grands groupes américains. De quoi conclure que la Chine est à la traîne dans la course au quantique? L'explication tient plutôt au modèle d'innovation: les grands progrès de la Chine dans le quantique sont surtout portés par l'Université des sciences et technologie. Voire par un seul homme, Jian-Wei Pan.
encent, Alibaba, Huawei, Baidu… Les géants du web chinois ne sont pas absents de la course au calcul quantique. Dernière annonce en date: Baidu a présenté fin août son premier calculateur, ainsi qu’un service cloud dédié, Qian Shi, composé de 10 qubits de haute-fidélité. L’entreprise a aussi dévoilé disposer d’un calculateur de 36 qubits… Bien loin de la puce de 127 qubits présentée par IBM l’année dernière. De quoi conclure que la Chine est à la traîne dans la course au quantique? Ce serait se méprendre.
La différence entre les deux pays est moins une question d'avance technologique, que de modèle. Si aux Etats-Unis, les percées sur le quantique restent l’apanage des grandes entreprises, elles reviennent, en Chine, quasi-exclusivement à une institution. Et derrière elle, à un seul homme.
«Jian-Wei Pan, le pape chinois du quantique»
«Les autorités centrales chinoises misent davantage sur l’écosystème universitaire, et en particulier sur l’Université des sciences et technologie de Chine [USTC], que sur les entreprises, observe Marc Julienne, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il y a des dizaines d’universités, d’entreprises, de start-up qui travaillent sur le sujet, mais aucune n’a fait de grosse annonce ou de publication scientifique sur un processeur plus performant que ceux développés par l’USTC.»
Annoncés en même temps fin 2021 et baptisés Zuchongzhi et Jiuzhang, les deux processeurs quantiques de l'USTC affichent respectivement 66 qubits supraconducteurs et 113 qubits photoniques. Derrière ces projets, toujours le même homme. «Le pape chinois du quantique est Jian-Wei Pan, insiste le spécialiste. Tous les projets partent de cette même personne.»
Plus de brevets chinois
Omniprésent dans le paysage quantique chinois, il a supervisé en 2016 le lancement du premier satellite voué aux communications quantiques du monde. Et l’a intégré, en 2020, dans le plus grand réseau chiffré par des technologies quantiques, long de plus de 4 600 kilomètres. Désigné en 2017 par la revue Nature comme l’un des dix scientifiques les plus influents du monde, sous le titre «Père du quantique», et par le Times parmi les 100 personnalités les plus influentes en 2018, il a notamment chapeauté l’essaimage de plusieurs spin-off spécialisés en communications quantique de l’USTC et de l’académie chinoise des sciences.
Les géants, eux, semblent évoluer dans un monde à part. Pour preuve: les responsables des centres de recherche sur le quantique de Baidu, Tencent et Alibaba sont issus d’universités étrangères. L’un de l’université technologique de Sydney (Australie), l’autre de l’université de Hong Kong, passé par Princeton et Caltech (Etats-Unis), et le dernier de l’université du Michigan, lui aussi passé par Caltech.
Au contraire, les géants américains, eux, n’hésitent pas à collaborer avec leurs champions universitaires : Google réalise des travaux avec Princeton et Stanford quand le campus quantique d’Amazon Web Services est situé à Caltech. Et affichent de l’avance. Reste que malgré son retard apparent, la Chine compte davantage de brevets sur le quantique que les Etats-Unis. Baidu, après seulement quatre ans de recherche sur le sujet, en compte déjà plus de 200… A cela s’ajoutent les 10 milliards de dollars investis par la Chine sur le domaine, contre une stratégie de 1,2 milliard de dollars outre-Atlantique. «Il y a une certaine condescendance des occidentaux envers les chinois, car ils ne font pas de percée scientifique, estime Marc Julienne. Mais ils cherchent davantage l’application technologique concrète que la percée.» De quoi relativiser le retard du pays dans ce marathon… qui démarre à peine.
>> Retrouver l'article sur le site de L'Usine Nouvelle.
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