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« Emmanuel Macron a compris que seul le rapport de force compterait pour faire reculer la Russie »

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interviewé par Eloi Passot dans

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De la main tendue au bras de fer, Dimitri Minic revient sur l’évolution de la politique russe du président français. Une analyse qui met en perspective son discours sur l’Europe prononcé ce jeudi à la Sorbonne.

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Rencontre entre le président Vladimir Poutine et le président Emmanuel Macron au Kremlin, 7 février 2022
Rencontre entre le président Vladimir Poutine et le président Emmanuel Macron au Kremlin, 7 février 2022
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Dimitri Minic est chercheur au Centre Russie/NEI de l'Ifri, docteur en histoire des relations internationales de Sorbonne Université et spécialiste de la culture politico-stratégique russe. Il est notamment l’auteur de Pensée et culture stratégique russe, aux éditions de la Maison des sciences de l'Homme.


LE FIGARO. - Emmanuel Macron a hérité d’une relation France-Russie séculaire . Dans quel état était-elle lors de son arrivée à l’Élysée en 2017 ?

Dimitri MINIC  - La France a de sa relation avec la Russie une mémoire sélective, y compris dans le domaine politique et stratégique. Durant trois guerres cruciales dans l'histoire de notre pays (guerre de Sept ans, Première et Seconde guerres mondiales), la Russie a trahi la France en signant des paix séparées avec la Prusse puis l'Allemagne (le traité de Saint-Pétersbourg en 1762, le traité de Brest-Litovsk en 1918), et pactisé avec les Nazis, laissant à Hitler les mains libres à l'ouest. La relation franco-russe a, historiquement, plutôt été marquée par l'indifférence ou l'hostilité. Les initiatives de de Gaulle vis-à-vis de l'URSS dans les années 1960 n'étaient nullement amicales, mais celles du Kremlin vers de Gaulle l'étaient encore moins. Moscou voyait la France comme un cheval de Troie pour étendre son influence en Europe occidentale et disloquer l'architecture de sécurité euro-atlantique. Mais la volonté de se rapprocher n'a, depuis la guerre froide, jamais vraiment cessé.

Ce qui, à mon sens, explique à la fois la persistance de ce désir de rapprochement et en même temps les limites de cette relation, c'est le fait que la France et la Russie se sont historiquement vues comme des appuis, voire des alliés potentiels dans des rivalités respectives sur le continent européen et ailleurs dans le monde (l'Allemagne puis les États-Unis essentiellement). Après la présidence de Jacques Chirac, la relation franco-russe a progressivement connu une forme de banalisation sous Nicolas Sarkozy et, surtout, François Hollande. Trois écueils majeurs ont conditionné la fragilité structurelle et les faibles perspectives de cette relation sans, pour autant, jamais entraver le dialogue : la question des valeurs et des principes ; le rapport différent aux États-Unis ; les divergences de vues et d'approches entre la France et l'Allemagne sur la nature du rapprochement à opérer entre l'Europe et la Russie.
 

La politique russe d'Emmanuel Macron a isolé la France en Europe, Dimitri Minic


Vous dites qu’une fois élu, Emmanuel Macron a tenté d’adopter une «double approche » assez singulière vis-à-vis de la Russie : rester ferme, mais tenter un rapprochement par le dialogue. Expliquez-nous.

Le président français a cherché à poursuivre la politique de dialogue et de fermeté de son prédécesseur en prorogeant les sanctions imposées à la suite de l'annexion de la Crimée, en écartant tout nouveau contrat d'armement et en formulant de dures critiques contre Moscou. «En même temps», Emmanuel Macron a voulu une politique de « reset » avec la Russie, marquée par des rencontres avec Poutine en 2017, 2018 et 2019 et des initiatives (comme le Dialogue de Trianon) censées rapprocher les deux pays et dépasser les blocages. L'Élysée a adopté une double approche contradictoire. La prétention de la France à être une «puissance d'équilibre» médiatrice et sa volonté d'ancrage dans la tradition gaullo-mitterrandienne se sont révélées incompatibles avec les ambitions européennes du président, notamment d'autonomie stratégique européenne. Ces perspectives typiques d'un gaullisme romancé portaient en elle les contradictions d'une politique française post-guerre froide. Cette politique française a, d'une part, confondu les moyens (l’autonomie) et les fins (la grande stratégie de la politique étrangère gaullienne,). D’autre part, elle a sous-estimé le fossé entre les actions réelles de la France - un rapprochement avec l'OTAN et les États-Unis depuis 30 ans - et une rhétorique héritée de la guerre froide sur l'autonomie et la souveraineté.

 

Selon vous, ce «en même temps» appliqué aux relations internationales s’est révélé «stérile et délétère ». Comment analysez-vous cet échec ?

L'approche du président français a échoué dans la mesure où ses initiatives ont à la fois démontré la désunion et la fragilité de l'Union européenne, et donné de faux espoirs au Kremlin. La politique russe d'Emmanuel Macron a isolé la France en Europe. Le président a, selon moi, commis trois erreurs majeures. D’abord, il a considéré Vladimir Poutine comme un homme pragmatique et raisonnable avec qui l'établissement d'une relation de confiance permettrait des avancées. Ensuite, il a sous-estimé les ambitions impérialistes et hégémoniques russes. Enfin, Emmanuel Macron a lié son projet de refondation de l'Europe à la création d'une nouvelle architecture de sécurité entre l'Europe et la Russie auquel les membres centraux et orientaux de l'UE ne croyaient pas.
 

Emmanuel Macron semble avoir progressivement pris conscience d'avoir été leurré par Vladimir Poutine, Dimitri Minic


Aujourd’hui, la position d’Emmanuel Macron a considérablement évolué. Le 27 février dernier, le président est même allé jusqu’à dire que l’envoi de «troupes au sol » ne devait pas «être exclu ». Comment cette mutation s’est-elle produite ?

Ce changement (très) progressif d'approche a lieu en 2022-2023. Cela s'explique en premier lieu par une prise de conscience de la nécessité, face à une radicalité objectivée de la politique russe, d'adopter une posture plus dure pour peser dans le rapport de force et contraindre Moscou à arrêter cette guerre. Par ailleurs, Emmanuel Macron semble avoir progressivement pris conscience d'avoir été leurré par Vladimir Poutine. Cela ne veut pas dire que le président était naïf ou faible avec la Russie avant 2022, bien au contraire, mais qu'il a cru, à tort, pouvoir infléchir certaines positions du président russe et l'empêcher de déclencher la guerre contre l'Ukraine et le pousser à la paix. Enfin et surtout, je dirais que le président semble avoir progressivement compris que la construction d'une Europe forte et souveraine devait d'abord et avant tout passer par les membres de l'Union européenne et notamment par ses membres centraux et orientaux, que la politique française, y compris macronienne, a souvent négligés au profit d'un rapprochement avec Moscou. D'autant que l'Élysée a vu dans cette nouvelle grande crise pour l'Europe une opportunité pour consolider la construction européenne.

 

Vous dites qu’en soutenant l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’UE, Emmanuel Macron a abandonné le positionnement historique d’une France «puissance d’équilibre». Ce renoncement ne risque-t-il pas de favoriser l’escalade ?

Il faut savoir prendre le risque de se faire entendre. Le président français a compris que seul le rapport de force compterait pour faire reculer la Russie, voire la forcer à renoncer. «Il nous faut parler la même langue que la Russie, celle du rapport de force», affirmait Stéphane Séjourné il y a un mois. Cette évolution de l'Élysée est non seulement courageuse, bien que tardive et encore incertaine, mais surtout adaptée au défi posé par Moscou et compatible avec les ambitions européennes du président français.


Et pourtant, vous concluez que si l’Europe échoue à soutenir l’Ukraine, elle sera face au dilemme suivant : soit le «discrédit» de l'UE et de l'OTAN, soit une «guerre générale»...

J'utilise le conditionnel car les événements se manifesteraient probablement avec plus de complexité. Mais disons que ce sont deux extrémités qui, sous une forme ou une autre, pourraient devenir réalité. Pour l'Élysée, aider et soutenir l'Ukraine, c'était d'abord une question de valeurs et de principes, mais c'est aussi et «en même temps» devenu une question de pragmatisme pour la sécurité européenne, au point que le président estime aujourd'hui que la défaite de la Russie est «indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe» et même à la «crédibilité» de l'Europe. C'est le sens et le résultat de son changement d'approche. Être confronté à ce dilemme reviendrait à une défaite pour l'Europe. Le meilleur moyen de l'éviter est que Moscou la croie prête à le trancher courageusement, et cela passe par un soutien massif et durable à l'Ukraine. Il semble que c'est cette conviction que le président français a fini par acquérir.

 

> Lire l'article dans son intégralité sur le site du Figaro 

> Lire la dernière publication de Dimitri Minic sur le site de l'Ifri: La politique russe d’Emmanuel Macron : étapes et racines d’une nouvelle approche, 2017-2024.

 

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Dimitri MINIC

Dimitri MINIC

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Chercheur, Centre Russie/Eurasie de l’Ifri

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