Elections en Allemagne : « À l’Est, l’extrême droite joue sur une nostalgie paradoxale de la RDA »
Si les élections fédérales ont été remportées par les conservateurs de la CDU/CSU, le parti d’extrême droite AfD enregistre le meilleur score de son histoire. Le mouvement confirme son ancrage à l’Est et arrive même en tête dans les cinq Länder de l’ex-RDA.
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Plus de trente-cinq ans après la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, la frontière Est-Ouest est toujours présente dans la vie politique et culturelle allemande. Un rapide coup d’œil sur la carte des résultats des élections fédérales du 23 février, où le parti démocrate-chrétien de la CDU est arrivé premier, suffit pour s’en rendre compte. L’AfD, parti d’extrême droite prorusse et anti-migrants, est en tête dans les cinq Länder de l’ex-RDA (la Thuringe, la Saxe, la Saxe-Anhalt, le Brandebourg et le Mecklembourg-Poméranie occidentale) et dans la quasi-totalité des circonscriptions. A l’inverse, le parti d’Alice Weidel ne remporte aucune circonscription dans l’ex-RFA.
Si ce type de carte a tendance à « lisser » les résultats – l’AfD fait tout de même de bons scores et progresse même à l’Ouest –, il reste qu’une vraie différence persiste entre deux parties de l’Allemagne. Comment expliquer un tel écart, et une si bonne implantation de l’extrême droite à l’Est ?
Pour Paul Maurice, secrétaire général du comité d’études des relations franco-allemandes de l’Institut français des Relations internationales (Ifri), ce bon ancrage s’inscrit dans une stratégie globale de l’AfD qui alimente un sentiment de déclassement des Allemands de l’Est, où 57 % d’entre eux se sentent considérés comme des citoyens de seconde zone, et y fantasment une « Allemagne plus allemande », moins touchée par l’immigration.
Comment expliquer un tel succès de l’extrême droite en Allemagne de l’Est ?
Paul Maurice : Il n’est pas nouveau. Dès 2014, l’AfD fait de très bons scores à l’Est et ce, avant même la crise migratoire de 2015. Et avant l’AfD, le Parti national-démocrate, NPD [considéré comme néonazi, NDLR], obtenait déjà près de 10 % des suffrages en Saxe en 2004. Depuis les années 1990, l’Est est une terre de conquête pour l’extrême droite, qui cherche à s’y implanter. Car la réticence à l’extrême droite y est perçue comme moins importante qu’à l’Ouest, où un travail mémoriel sur le passé nazi et l’histoire de l’Allemagne la bloquait.
L’AfD joue sur « l’Ostalgie », une nostalgie paradoxale qui flatte les Allemands de l’Est et l’ex-RDA tout en rejetant le communisme. Björn Höcke, le leader charismatique de l’AfD en Thuringe, joue avec ces symboles en posant avec une moto Simson, typique de l’ex-RDA, alors même qu’il est originaire de l’Ouest.
L’AfD joue aussi sur un sentiment de déclassement, qui est réel mais aussi transmis par les familles depuis la période des années 1990, marquée par un chômage important. Enfin, elle avance l’idée que l’Est serait « pur » au sens où il aurait résisté aux vagues migratoires et qu’il faudrait préserver cette « Allemagne plus allemande ». C’est évidemment faux, il y a eu des immigrés d’origines africaines, de pays communistes, du Vietnam ou de Cuba qui sont venus en RDA.
Même si l’AfD fait des scores importants en Allemagne de l’Ouest, les réticences sont plus importantes car il y a des structures sociétales comme les syndicats, les églises, la presse, des élus locaux et des partis politiques encore forts qui limitent sa progression. A l’Est, ces structures sont beaucoup moins importantes car le régime communiste en a détruit la plupart.
A ces critères subjectifs s’ajoutent des critères économiques plus objectifs comme le chômage…
Il y a bien des critères objectifs comme la faible représentativité des Allemands de l’Est dans les milieux politiques, économiques, sociaux et donc un sentiment d’être mis à l’écart. Mais, quand on regarde le taux de chômage, il est très fort dans certains Länder de l’Est alors que d’autres en ont un moins important qu’en Sarre, qu’à Hambourg ou en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Néanmoins, c’est aussi une question d’influence et d’investissement. Quand on regarde les investissements des entreprises, les cinq Länder de l’Est sont bien tous en queue de peloton.
De fait, c’est une incorporation des Länder de l’Est dans les structures de l’Allemagne de l’Ouest. C’est vrai. Mais de là à parler d’annexion, qui implique quelque chose de violent et de non désiré, non. Quand on regarde les résultats des votes des élections de mars 1990, les Allemands de l’Est ont voté pour les partis, dont notamment la CDU, qui prônaient la réunification immédiate. Les Allemands de l’Est voulaient adhérer à la RFA. Peut-être que l’Ouest s’est porté en conquérant sur les territoires de l’Est et sans doute que des choses ont été mal faites, mais c’est historiquement faux de dire que c’est une annexion.
D’autres partis ont-ils aussi essayé de miser sur l’est de l’Allemagne ?
C’était le cas du parti de gauche radicale Die Linke, qui se voulait être représentant de l’Allemagne de l’Est. Mais ce créneau a été repris par Sahra Wagenknecht, transfuge du parti qui a créé le BSW, qui se présente comme la vraie défenseuse des valeurs de l’Allemagne de l’Est, à savoir le pacifisme en insistant sur la paix en Ukraine.
L’AfD joue aussi sur l’idée que c’est un parti créé après la réunification, et donc qui n’est pas importé de l’Ouest. Cette position lui permet de convaincre les anciens abstentionnistes de l’Est qui ne se reconnaissaient pas dans le paysage politique.
Est-ce que cette variable Est-Ouest est comparable à la fracture ville-campagne en France ?
Pas vraiment. Parce que cette différente existe aussi en Allemagne. En Allemagne de l’Est, les grandes villes comme Dresde et Leipzig vont moins voter à l’extrême droite. Le différentiel ville-campagne existe aussi et il est fort, notamment dans le vote des Verts, mais il n’empêche pas que celui de l’Est-Ouest est un critère majeur dans la sociologie du vote comme l’âge, le genre ou la catégorie sociale.
>> Lire l'interview sur le site du Nouvel Obs
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