Election de Donald Trump : « Le Parti démocrate a ses responsabilités dans l’échec cuisant qui vient de lui être imposé »
La difficulté de Kamala Harris à trouver le ton juste, l’incapacité du gouvernement Biden à juguler l’inflation, ou encore les prises de position radicales de la base militante du parti constituent autant de facteurs explicatifs de la défaite de la candidate démocrate, estime la politiste Laurence Nardon, dans une tribune au « Monde ».
« C’est une victoire politique telle que notre pays n’en a jamais vu auparavant » [« It’s a political victory that our country has never seen before »].
Pour une fois, les expressions employées par Donald Trump lors de son discours du mercredi 6 novembre au matin ne sont pas des hyperboles. Au lendemain de l’élection, alors que le décompte des voix est toujours en cours, le républicain a déjà remporté plus que les 270 grands électeurs nécessaires pour gagner la présidence, tandis que son camp obtient aussi la majorité au Sénat.
Surtout, le nouveau président élu remporte cette fois-ci le vote populaire, avec plus d’électeurs que Kamala Harris. Si la Chambre des représentants, pour l’instant incertaine, donne également la majorité aux républicains, Trump détiendrait alors le trifecta (le « tiercé gagnant » ) : la Maison blanche et les deux Chambres du Congrès – à quoi il faut ajouter la Cour suprême, qui connaît depuis son premier mandat une majorité de six juges conservateurs sur neuf.
Quelles sont les dynamiques de vote qui expliquent la victoire stupéfiante d’un candidat d’extrême droite détesté par un pourcentage considérable d’Américains, un condamné multirécidiviste que beaucoup soupçonnent d’être inféodé à la puissance russe ? Les premières d’entre elles tiennent certainement au talent politique, au charisme et à la résilience de ce personnage hors norme.
Absence de nouveaux talents
Mais le Parti démocrate ne peut faire l’économie d’un douloureux examen de ses propres responsabilités dans l’échec cuisant qui vient de lui être imposé. Ainsi, les premières raisons de la défaite doivent sans doute être imputées à la rivale de Trump, Kamala Harris. Au cours d’une campagne beaucoup trop courte, de fin juillet à début novembre, la candidate démocrate n’a pas réussi à porter un discours efficace auprès des Américains.
Entre son programme marqué à gauche lors de la campagne des primaires démocrates de 2020 et ses propositions beaucoup plus modérées quatre ans plus tard, les électeurs n’ont pas compris quelles étaient ses véritables opinions. Surtout, Harris n’a jamais réussi à trouver le ton juste pour exprimer son récit personnel – là où son adversaire, malgré ses mensonges répétés, est perçu comme « authentique ».
Mais au-delà des insuffisances de Kamala Harris, il faut aussi blâmer l’absence, depuis près de dix ans, d’une véritable sélection de nouveaux talents politiques au sein du Parti démocrate. Fortement encouragées en haut lieu malgré la tenue de primaires présidentielles, les candidatures de Hillary Clinton en 2016 et de Joe Biden en 2020 ont entravé la montée de la relève démocrate. Pris de court par le retrait beaucoup trop tardif de Biden à la fin juillet, le parti s’est trouvé en manque de candidats de qualité.
L’économie constitue une deuxième faille de la campagne démocrate. Malgré de bons résultats économiques, les électeurs ont exprimé à longueur de sondages leur ressentiment vis-à-vis de l’administration Biden pour une inflation qui a fait exploser le coût de l’alimentation et de l’essence entre 2021 et 2023. Cette réaction est particulièrement cruelle quand on sait que la politique économique de Joe Biden, dite « bidenomics », visait précisément à redonner aux classes moyennes et ouvrières peu ou pas diplômées des perspectives de prospérité économique, afin de les arracher à la séduction populiste du vote Trump. Las, ces électeurs ont perçu cette politique d’investissements fédéraux massifs comme une politique dispendieuse et inflationniste, lui préférant le mythe de l’individu autonome, de l’entrepreneur qui n’a pas besoin de l’aide de l’Etat.
Propositions impopulaires
Une dernière et importante raison de l’échec démocrate tient aux propositions progressistes portées ces dernières années par le parti sur un certain nombre de sujets. La base militante du Parti démocrate, typiquement constituée de jeunes diplômés issus de familles aisées, a par exemple défendu le définancement de la police en réponse à l’affaire George Floyd, l’ouverture radicale et généreuse des frontières à l’immigration au lendemain de l’épidémie de Covid-19, ou encore un soutien inconditionnel aux personnes trans après les attaques de Donald Trump envers cette communauté.
Or, ces diverses exigences ont effrayé une majorité de l’opinion publique américaine et ont été jugées excessives par une partie de l’électorat démocrate. Si Kamala Harris s’est bien gardée de reprendre ces propositions impopulaires dans sa campagne express, elle n’a pas assez clairement pris ses distances avec la gauche du parti.
Cette difficulté à trancher entre courants modéré et radical s’est aussi manifestée sur la question du conflit au Moyen-Orient. Kamala Harris a ainsi cherché à ménager les démocrates traditionnels, qui soutiennent coûte que coûte l’Etat d’Israël, et un courant de gauche clairement propalestinien, sans parvenir à contenter personne.
Quoique partiellement inexacte, la perception de la candidature de Harris comme étant « trop à gauche » est d’ailleurs l’une des clés d’explication de la déperdition du vote démocrate chez les minorités latino et afro-américaine. Si Barack Obama avait déploré, ces dernières semaines, une tendance au vote républicain chez les jeunes hommes afro-américains, il semble avéré que, pour la première fois, les hommes latinos ont voté en majorité pour le candidat Trump. Plus conservatrices, attachées à la propriété privée et à l’entrepreneuriat individuel, ces minorités ont été séduites par le discours d’un Trump qui n’a pourtant pas cherché à modérer ses propos et ses actes pour les attirer, bien au contraire. Ainsi, la confirmation d’un vote républicain de plus en plus significatif chez les minorités ethniques est l’un des grands enseignements du cycle électoral 2024.
Laurence Nardon est responsable du programme Amériques à l’Institut français des relations internationales. Elle a publié « Géopolitique de la puissance américaine » (PUF, 216 p., 15 €).
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