Dimitri Minic : « Le Kremlin poursuit sa stratégie en prenant soin de l’ego de Trump »
L’appel entre Donald Trump et Vladimir Poutine a abouti à des concessions surtout symboliques de la part de Moscou. Pour Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri et docteur en histoire des relations internationales, le dirigeant russe entreprend « de flatter et de contenter Trump sans renoncer aux objectifs maximalistes ».

Que faut-il conclure de l’appel téléphonique entre Trump et Poutine ? Les « concessions » russes semblent avant tout symboliques : l’arrêt des frappes sur les infrastructures, qui leur bénéficie aussi, une possible trêve navale en mer Noire, alors que la guerre ne se joue quasiment plus sur les eaux…
La première conclusion est que Vladimir Poutine a repoussé l’offre de cessez-le-feu proposée par Donald Trump et Volodymyr Zelensky. La deuxième est que le Kremlin poursuit sa stratégie en prenant soin de l’ego de Trump sans renoncer aux objectifs maximalistes, ce qui explique cette mesure symbolique. Poutine a rappelé ce qu’il a déjà dit à Trump lors de la conversation téléphonique du 12 février, quand le président russe avait accepté d’ouvrir des négociations avec les États-Unis : tout règlement pacifique doit être « global, durable et à long terme », et « tenir compte de la nécessité inconditionnelle d’éliminer les causes profondes de la crise et des intérêts légitimes de la Russie en matière de sécurité ». Traduction : aucun arrêt des combats qui ne serait pas synonyme de paix durable n’est acceptable, et cela n’est possible que si l’Ukraine capitule et devient le vassal de Moscou.
Surtout, Poutine demande l’arrêt complet de l’aide militaire étrangère à l’Ukraine ainsi que du renseignement avant d’envisager un cessez-le-feu total. Autant exiger une capitulation pure et simple…
Pour un « cessez-le-feu de 30 jours », Poutine a évoqué plusieurs points « essentiels ». Le premier est celui du « contrôle effectif d’un éventuel cessez-le-feu sur l’ensemble de la ligne de contact ». Le second se rapporte à la « nécessité de mettre fin à la mobilisation forcée en Ukraine et au réarmement des forces armées ukrainiennes ». Le troisième a trait aux « risques graves liés au manque d’engagement du régime de Kiev ». Le quatrième évoque la question des « crimes terroristes barbares commis par des combattants ukrainiens [...] à Koursk ». Enfin, la « condition essentielle » pour une résolution diplomatique est « l’arrêt complet de l’assistance militaire étrangère et de la fourniture d’informations de renseignement à Kiev ».
Texte citation
Poutine a rappelé la condition essentielle d’un vrai cessez-le-feu : l’Ukraine, dont il estime que le gouvernement n’est pas légitime, doit être isolée de l’extérieur et doit arrêter de se défendre, c’est-à-dire préparer concrètement sa capitulation et sa vassalisation.

Chercheur, Centre Russie/Eurasie de l’Ifri
En revanche, dans leur communiqué final, les États-Unis ne mentionnent pas cette exigence. Pourquoi ? Donald Trump est-il vraiment prêt à toutes les concessions pour la paix ?
Il faut d’abord comprendre que la main de Trump est faible depuis le départ dans cette négociation, et qu’il l’a lui-même considérablement affaiblie. Pourquoi ? Tout d’abord, il veut conclure une paix en Ukraine, et ce le plus vite possible, tandis que Poutine lui a signifié qu’il n’était pas pressé de la faire. Deuxièmement, il souhaite une bonne entente avec la Russie et même un partenariat géopolitique avec elle. Cela permettrait, pense-t-il probablement, d’affermir la puissance des États-Unis et d’affaiblir la Chine. Troisièmement, l’indépendance de l’Ukraine et de l’Europe n’est pas un sujet pour Trump, qui voit plutôt la première comme un obstacle à son souhait de rapprochement avec Moscou, et la seconde comme un adversaire. Sans parler des fortes collusions idéologiques qui existent désormais entre la Russie et les États-Unis, et d’un alignement des récits sur l’OTAN, l’Europe, l’Ukraine et l’Occident en général.
Trump pourrait bien finir par se lasser de la rigidité de Moscou. Le cas échéant au moins deux options se présenteront : ou bien il accède aux exigences fondamentales de la Russie et facilite la capitulation et l’asservissement de l’Ukraine à Moscou, ou bien il finit par renforcer les sanctions contre la Russie, par assurer un soutien minimal à l’Ukraine et par rejeter la faute et la responsabilité sur les Européens. Dans ce dernier cas, il se retrouverait dans la même situation que ses prédécesseurs, à savoir affronter une opposition fondamentale de la Russie et de ses alliés et partenaires proches (Chine, Iran et Corée du Nord), et devoir assumer les conséquences des menaces conventionnelles et nucléaires que Moscou n’hésitera pas à brandir s’il se montre hostile. Ce n’est pas ce que Trump veut, et ses concessions théoriques en Ukraine l’ont déjà bien montré. La question n’est pas de savoir si Trump va abandonner l’Ukraine mais plutôt de voir comment il va tenter de dissimuler cet abandon.
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