Deux ans de guerre en Ukraine: comment la Russie parvient à maintenir ses recettes issues des hydrocarbures
Malgré les multiples embargos mis en place par les puissances occidentales depuis deux ans, Moscou a trouvé plusieurs relais afin de continuer à exploiter ses ressources énergétiques... pour l'instant.
Le plus dur est-il déjà derrière l'économie russe? Il y a deux ans, les puissances occidentales avaient rapidement décidé d'attaquer Moscou au portefeuille pour répondre à l'invasion de l'Ukraine.
Les différents trains de sanctions mis en place en l'espace de quelques mois ont notamment ciblé les exportations d'hydrocarbures de la Russie dont une partie significative avait pour destination des pays de l'Union européenne. En 2021, les hydrocarbures représentaient 46% des exportations russes, celles de pétrole générant 179 milliards d'euros de recettes contre 62 milliards d'euros pour le gaz naturel.
Les embargos décidés par l'Union européenne touchèrent tout d'abord le charbon russe dès le mois d'août 2022 puis le pétrole brut à partir de décembre avant d'être élargis aux produits pétroliers depuis tout juste un an. En ce qui concerne le gaz, Vladimir Poutine a lui-même cessé l'approvisionnement des pays européens en réponse au plafonnement des prix du gaz russe à 180 euros le MWh décidé sur le marché européen. A l'issue de l'instauration de ces sanctions européennes, Moscou a perdu l'un de ses principaux clients parmi ses importateurs d'hydrocarbures. Pourtant, deux ans après le début de la guerre en Ukraine, la Russie tire toujours des recettes conséquentes de ses exportations énergétiques.
Des plafonds trop élevés
Alors que 2023 a été la première année civile complète d'application des embargos, les exportations de pétrole russes sont restées relativement stables, autour de 7,5 millions de barils par jour contre 7,8 millions en 2022. Si les exportations d'or noir vers les pays de l'OCDE ont effectivement reculé de 4,3%, elles ont augmenté d'un demi-million de barils quotidiens vers la Turquie, d'environ 700.000 vers la Chine et de plus d'un million vers l'Inde qui a ainsi enregistré une multiplication par dix de celles-ci.
Malgré ces chiffres conséquents, ces volumes cachent en réalité une baisse sensible des exportations en valeur.
"Dès les premières semaines du conflit, la Russie a été contrainte d'accepter des rabais de l'ordre de 30% sur le prix du pétrole de l'Oural sur les marchés internationaux, rappelle Olivier Appert de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Les revenus mensuels des exportations pétrolières ont baissé de 4,2 milliards de dollars en 2023 pour se situer autour de 15 milliards de dollars."
Ce rabais a d'ailleurs rendu inefficace la mesure de plafonnement du prix du pétrole russe à 60 dollars le baril car ce seuil n'a été que trop peu dépassé. De même, le plafond prévu pour le prix du gaz à 180 euros le MWh a été dépassé seulement quelques jours à l'été 2022. Certains acteurs comme le Centre de recherches sur l'énergie et la propreté de l'air, un think tank finlandais, plaide depuis plusieurs mois pour un abaissement du plafond pour le pétrole brut russe à 30 dollars le baril, ce qui priverait le pays de 150 millions de dollars chaque jour.
Les tensions intra-Opep pourraient changer la donne
Selon Olivier Appert, un embargo pourrait toutefois des conséquences non-négligeables sur la Russie: celui sur les techologies pétrolières et gazières. "La Russie dépend de ces technologies occidentales auxquelles elle fait appel depuis la chute du mur de Berlin, relève le conseiller du centre énergie de l'IFRI. Moscou ne possède que celles de liquéfaction du gaz naturel par exemple." Toujours est-il que le pays de Vladimir Poutine semble être parvenu à "traverser la tempête jusqu'ici".
Outre les nouveaux relais de croissance exploités en Asie pour vendre son pétrole, la Russie a également trouvé des solutions sur le terrain gazier :
"Les exportations par gazoduc ont cessé vers l'Europe et se font uniquement vers la Chine mais à des montants très inférieurs. En revanche, Moscou développe sa production de GNL dont les exportations vers l'Europe augmentent."
Mais la Russie va-t-elle continuer à passer entre les mailles du filet ?
Olivier Appert estime que l'économie russe est particulièrement exposée à des facteurs externes et géopolitiques. "Il y a des interrogations sur un ralentissement structurel de l'économie chinoise même si je n'anticipe pas une crise majeure, souligne-t-il. Mais la Chine va veiller à ne pas reproduire les erreurs de l'Allemagne en étant trop dépendante d'un seul fournisseur."
Le spécialiste invite surtout à surveiller de près la situation de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole dans les prochains mois:
"Le changement majeur peut venir de l'Opep si un pays refuse par exemple de suivre l'Arabie saoudite et de réduire ses quotas de production pour faire grimper les prix: ce pays pourrait bien être la Russie. On voit quelques signes de tensions et en cas de rupture, cela pourrait se traduire par une importante baisse des prix."
Au niveau européen, le contexte politique ne permet pas d'envisager de nouvelles mesures fortes contre l'économie russe à court-moyen termes. "L'Union européenne est à l'arrêt avec les élections et la nouvelle commission européenne, constate Olivier Appert. On ne peut pas imaginer de décisions majeures avant la fin de l'année 2024."
> Lire l'interview sur BFM Business
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