Des attaques contre les Chinois menacent le projet de corridor économique sino-pakistanais
La Chine fait de la protection de ses ressortissants au Pakistan une priorité et a obtenu le doublement de la force de sécurité chargée de surveiller les chantiers de ce projet colossal.
Attentats, attaques, tentatives de meurtre… Les violences contre les Chinois se multiplient au Pakistan où Pékin a entrepris depuis 2015 la construction d’un corridor économique sino-pakistanais (CPEC), qui doit relier la province chinoise du Xinjiang à la mer d’Arabie, dans le cadre des « nouvelles routes de la soie », le grand dessein de Xi Jinping. Le coût global du projet, conçu pour ouvrir des voies terrestres et maritimes au commerce chinois, est estimé à 65 milliards de dollars (55,1 milliards d’euros), essentiellement financés par Pékin.
Malgré les déclarations officielles vantant l’amitié indéfectible entre les deux pays voisins, les questions de sécurité au Pakistan sont un vrai défi pour les Chinois, alors même que l’attentat contre l’aéroport de Kaboul en Afghanistan suscite de nouvelles inquiétudes dans toute la région. La dernière attaque anti-chinoise s’est produite, vendredi 20 août, à Gwadar, au sud-ouest du pays, dans la province du Baloutchistan, non loin de la frontière avec l’Iran, où la Chine bâtit un immense port en eau profonde. Un convoi de trois véhicules ramenait à leur camp de base des travailleurs chinois chargés de la construction de l’autoroute East-Bay, la voie principale d’accès au port, lorsqu’un attentat-suicide s’est produit à hauteur du cortège.
Deux enfants pakistanais qui jouaient près de la voie express ont été tués, un passager chinois a été blessé. L’Armée de libération du Baloutchistan, une organisation clandestine, créée en 2000, qui lutte pour l’indépendance de la région, dernier avatar d’une insurrection vieille d’un demi-siècle, a revendiqué l’attaque.
Voiture piégée
Ce n’est pas la première fois que Gwadar, décrite par les Chinois et les Pakistanais comme le « joyau de la couronne » du CPEC, car elle sera au cœur d’un réseau de routes, de voies ferrées et d’oléoducs, est touchée : son hôtel de luxe, où descendent régulièrement les délégations chinoises, fut la cible d’une attaque en 2019, sans faire de victimes chinoises.
L’attentat le plus sanglant touchant des Chinois a toutefois eu lieu à l’autre bout du pays, au nord-ouest, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, le 14 juillet : une voiture piégée a touché deux bus de travailleurs chinois œuvrant sur le chantier du barrage hydroélectrique de Dassu, construit par une société chinoise. L’un des bus est tombé dans le ravin, tuant douze personnes, dont neuf Chinois.
Les Pakistanais ont tardé à admettre qu’il s’agissait d’un attentat, évoquant dans un premier temps une défaillance mécanique. Mais la Chine a dépêché ses propres enquêteurs sur place. Avec l’aval de Pékin, Islamabad a finalement attribué, le 12 août, la responsabilité de l’opération aux talibans pakistanais et à des « forces qui ne peuvent pas digérer les investissements chinois au Pakistan », en l’occurrence « les services secrets indiens et afghans ». Le gouvernement afghan, tombé en août, était régulièrement accusé par Islamabad de servir de base arrière aux séparatistes baloutches et aux talibans pakistanais.
« Depuis 2004, j’ai recensé 23 ressortissants chinois tués au Pakistan. Dont un peu plus de la moitié, douze, ont été tués depuis 2017. Ceci sans compter les blessés, ni les attaques qui n’ont pas touché de Chinois comme celle du consulat chinois de Karachi en novembre 2018, ou encore celle de juin 2020 contre la Bourse de Karachi, dont 40 % ont été acquis par des investisseurs chinois », décrypte Marc Julienne, responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales et spécialiste des politiques de sécurité chinoises. « Il y a une accélération. Et il est clair que ces cibles sont visées car ce sont des Chinois ou des intérêts chinois. »
Climat peu propice aux affaires
Au Pakistan, Pékin a toujours fait de la sécurité de ses ressortissants une priorité absolue : il a imposé en 2015 le déploiement de 15 000 agents de sécurité pakistanais pour protéger les chantiers du CPEC, un chiffre dont il a obtenu le doublement en 2019. Après la dernière attaque, à Gwadar, l’ambassadeur chinois au Pakistan, Nong Rong, qui fut lui-même la cible présumée d’un attentat des talibans pakistanais contre son hôtel à Quetta, en avril, a demandé au Pakistan de « renforcer ses mesures de sécurité pour que de tels incidents ne se reproduisent plus ». Les attaquants s’en prennent souvent à des cibles chinoises en dehors des programmes estampillés CPEC – comme les deux ingénieurs chinois visés par une attaque le 28 juillet, à Karachi.
Le climat est peu propice aux affaires : la société chinoise charge du chantier de Dassu a voulu ajourner le chantier, avant de faire volte-face. L’attaque contre ce barrage a conduit à un nouvel ajournement du Comité de coordination du CPEC, prévu deux jours après l’attentat. Or celui-ci ne s’est pas tenu depuis 2019, officiellement en raison du Covid-19. Pékin, manifestement, traîne des pieds.
Si les différentes opérations antichinoises n’ont pas toujours des mobiles communs, les attaques liées aux militants baloutches, principalement ceux de l’Armée de libération du Baloutchistan – qui a revendiqué l’attentat de Gwadar mais aussi celui du consulat de Karachi –, s’inscrivent dans un contexte de ressentiment croissant envers les Chinois dans cette région immense, mais peu peuplée et très pauvre, où les projets n’offrent pas de retombées pour la population locale.
« Le discours de l’Armée de libération du Baloutchistan est très explicite : c’est un mouvement indépendantiste, donc contre le gouvernement pakistanais et ses partenaires comme la Chine. Il considère le corridor économique Chine-Pakistan comme de la colonisation chinoise, et dénonce l’exploitation des ressources par la Chine », explique Marc Julienne.
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