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« Dans la Chine de Xi Jinping, la répression antireligieuse signe l’impuissance du Parti à contrôler les esprits »

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Le déclin de l’utopie marxiste et l’effondrement de l’éthique traditionnelle ont créé un vide moral et spirituel que l’idéologie officielle ne peut combler, à la différence des religions dont le renouveau est spectaculaire, observe, dans une tribune au « Monde » Claude Meyer, spécialiste de l’Asie.

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La mort de Mikhaïl Gorbatchev a suscité des réactions contrastées en Chine : Pékin a reconnu le rôle constructif qu’il a joué dans la normalisation entre les deux pays après trente ans de rupture, mais la presse ne s’est pas privée de tirer à boulets rouges sur l’homme de la perestroïka. Déjà, Deng Xiaoping considérait que la glasnost était une politique « imbécile », qui conduirait à l’effondrement de l’URSS, car elle inversait l’ordre des priorités en privilégiant la réforme politique : la liberté d’expression et d’association déboucherait sur des manifestations et des grèves massives, mais aussi sur le réveil des identités nationales.


Tout le contraire de la politique menée par le président Xi Jinping, dont l’objectif majeur est la revitalisation d’un Parti communiste chinois (PCC) qu’il jugeait déliquescent à son arrivée au pouvoir, en 2012. Obsédé par le contre-exemple de Gorbatchev, il s’inspire de Mao Zedong avec pour mantra le retour à l’idéal socialiste, voire maoïste. Le 20e congrès du PCC, qui s’est tenu du 16 au 22 octobre, a entériné sa ligne et vient de le renouveler pour un troisième mandat de cinq ans, un quatrième en 2027 n’étant pas exclu, car il n’aura alors que 74 ans.
Lors du précédent congrès, en 2017, il avait, en effet, obtenu l’abolition de la limite de deux mandats imposée après la mort de Mao et même, consécration suprême, l’introduction de sa « pensée » dans la Constitution, au même titre que celle du Grand Timonier.


Mais en quoi la deuxième puissance mondiale, hypercapitaliste à bien des égards – elle détient le record mondial de milliardaires –, peut-elle incarner l’idéal communiste ? Pourtant, selon certains observateurs, la Chine n’aurait jamais cessé d’être communiste et le deviendrait de plus en plus sous Xi Jinping. Sur le plan du régime politique, on ne peut qu’approuver : il est incontestable que le « nouveau Mao » impose au PCC un retour à ses racines rouges, y compris maoïstes. Par ailleurs, signe de vitalité pour un parti au pouvoir depuis soixante-dix ans, les adhésions progressent à un rythme soutenu dans les jeunes générations, même s’il est difficile d’en démêler les véritables motivations, convictions idéologiques ou calculs carriéristes.

 

Coup fatal au rêve collectiviste

Cependant, cette approche se focalise sur la dimension idéologique portée par le PCC sans prendre en compte deux points essentiels. D’abord, les spécificités de l’économie chinoise. Certes, l’Etat y joue un rôle important, mais cela n’en fait pas un pays communiste pour autant. Les inégalités sociales y sont plus marquées qu’aux Etats-Unis et même les milliardaires y sont plus nombreux, disciples zélés de Deng Xiaoping, qui déclarait : « Il est glorieux de devenir riche. » Pour preuve, beaucoup d’entre eux sont membres du Parti et certains du Parlement.

Mais, plus encore qu’en économie, ce point de vue néglige les profondes évolutions de la société chinoise durant les dernières décennies. Les citoyens sont-ils vraiment convaincus aujourd’hui des bienfaits d’un marxisme-léninisme revivifié par la pensée de Mao et de Xi Jinping ? Comment alors expliquer, par exemple, le spectaculaire renouveau des religions durant les dernières décennies ? Le changement de cap opéré par Deng Xiaoping a porté un coup fatal au rêve collectiviste de l’ère maoïste, remplacé par la religion de l’efficacité économique et le culte de l’argent-roi. Consumérisme effréné, affairisme et corruption à grande échelle : le déclin de l’utopie marxiste et l’effondrement de l’éthique traditionnelle ont créé une crise morale et un vide spirituel que l’idéologie officielle ne peut combler, à la différence des religions. Le PCC se targue de compter 98 millions de membres mais ne peut ignorer que plus de 350 millions de citoyens se détournent de Marx et de Lénine pour donner un sens à leur existence grâce à la religion. Au moins quatre fois plus de croyants que de membres du PCC : peut-on alors parler d’une Chine « communiste », enracinée dans l’utopie collectiviste et athée de l’ère maoïste ?
Cette dynamique religieuse, défi pour l’athéisme militant du PCC, se heurte à une répression qui s’est aggravée de façon alarmante sous Xi Jinping. C’est d’ailleurs une différence majeure avec la Russie de Poutine, où prévaut l’alliance objective du pouvoir et de l’Eglise orthodoxe. Le maître du Kremlin considère la religion orthodoxe comme une part intégrante de l’identité russe et, à ce titre, se tient aux côtés du patriarche Kirill de Moscou pour les grandes fêtes religieuses. En retour, le patriarche est un fervent soutien de Poutine, allant même jusqu’à donner une dimension théologique à l’invasion de l’Ukraine, « opération » légitime puisqu’il s’agit du nécessaire combat contre les « forces du mal »…

 

« Siniser » les chrétiens

En Chine, la répression est particulièrement brutale contre l’islam des Ouïgours et le bouddhisme tibétain, mais elle n’épargne pas le christianisme, dont les églises clandestines prospèrent et refusent d’adhérer aux associations « patriotiques » officielles. L’essor du christianisme inquiète le pouvoir au plus haut point, car le nombre de fidèles dépassera bientôt celui des membres du PCC. D’où l’énergie farouche du Parti pour asphyxier les communautés chrétiennes et « siniser » cette religion « occidentale » pour la mettre au service des valeurs socialistes sous l’autorité exclusive du Parti. Il s’agit d’extirper la foi dans le Christ en la remplaçant par la foi dans le PCC et dans son chef désormais quasi divinisé, comme le fut Mao.
Cette politique religieuse révèle les failles du régime et ses obsessions idéologiques : la répression signe l’impuissance du PCC à contrôler les esprits, la sinisation s’inscrit dans l’offensive idéologique que mène la Chine, notamment contre l’Occident. Cette stratégie d’endiguement permettra-t-elle de restaurer une Chine vraiment communiste ? On peut en douter à entendre certains chercheurs qui la voient devenir, à l’horizon 2030, le premier pays chrétien au monde.

 

> Retrouvez la tribune sur le site du Monde (réservée aux abonnés).

 

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Claude MEYER

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Anciennement Conseiller au Centre Asie de l'Ifri