Crise au Mali : " l'Algérie a besoin d'être rassurée " et " la France n'a pas intérêt à ce que la zone soit déstabilisée
Interview parue dans La Voix du Nord, le 31 octobre 2012
Au moment où la planification d"une intervention au Mali s"ébauche patiemment, Alain Antil, responsable du programme Afrique subsaharienne à l"IFRI (Institut français des relations internationales) et enseignant à Sciences-Po Lille, décrypte les enjeux d"une crise complexe.
Comment peut-on distinguer les rebelles au Nord Mali ?
" Il existe quatre mouvements armés au Nord Mali. Le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), qui est à l'origine de la rébellion le 17 janvier dernier, représente quelques tribus touareg. Mais il n'y a pas que des populations touarègues au Nord Mali. Le MNLA s'est d'abord allié avec des mouvements islamistes qui les ont expulsés des principales villes du pays en juin.
Pour les trois mouvements islamistes, le plus ancien est Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), présent dans la zone depuis une dizaine d'années quand il s'appelait encore GSPC (Groupement salafiste pour la prédication et le combat), il est composé essentiellement d'Algériens.
Ansar Eddine (les défenseurs de la religion) est formé de Touareg islamistes et quelques éléments issus des tribus arabes du Nord Mali. Le mouvement est dirigé par le charismatique Iyad Ag Ghali, un personnage clé de la crise. Ce mouvement est présent dans deux capitales régionales du Nord Mali, Kidal et Tombouctou.
Enfin, le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'ouest) est très composite, surtout composé au sommet d'Arabes maliens, de Mauritaniens et de Sahraouis, mais aussi, à la base, de Songoy et même de quelques migrants ouest-africains stoppés dans le désert par le conflit, des Nigérians, des Béninois, des Ivoiriens… "
Quel type de relations entretiennent ces mouvements ?
" La cartographie des relations entre ces quatre mouvements n'est pas aisée à réaliser et de toute façon extrêmement mouvante. Ils représentent 5 à 6 000 hommes si on additionne les quatre, masse de laquelle il faut peut-être distinguer un millier de combattants aguerris et bien armés. Mais peut-on véritablement les additionner ? Le MNLA serait, dit-on, prêt à s'allier au pouvoir central et avec des partenaires du Mali pour expulser les islamistes.
Aujourd'hui, on pense que le MUJAO et AQMI sont très proches. Le MUJAO ayant demandé récemment la libération de membres d'AQMI en Algérie. Il est difficile d'établir les relations entre Ansar Eddine et les autres même s'ils ont combattu ensemble l'armée malienne au premier semestre 2012. On reste dans les hypothèses. "
A Bamako, le gouvernement reste fragile...
" Sans pouvoir central fort, les décisions sont difficiles à prendre. C'est une des difficultés de la résolution de cette crise. L'armée malienne a aussi subi un revers humiliant en mars. Or elle doit être à la pointe de la reconquête. A court terme, cela peut paraître être un facteur incapacitant qui ralentira le processus de plusieurs mois. Mais à moyen et long terme, ce sera positif même si l'armée malienne est appuyée par d'autres. Politiquement, le signal serait plus fort. Avec une armée malienne menaçante et crédible, il serait d'ailleurs plus facile de négocier avec les mouvements du Nord. Il faut inverser le rapport de forces. "
Pourquoi l'Algérie reste-t-elle réticente à une intervention ?
" Au niveau international, il existe désormais une convergence d'analyse sur la gravité de la situation. Il faut encore déterminer les modalités de résolution de la crise et l'agenda. L'Algérie ne se dit pas très favorable à un règlement par la force tant que les négociations ne sont pas épuisées. C'est une façon de dire " Il faudra compter avec nous, entendre notre avis ". Il faut d'ailleurs souligner qu'une intervention serait beaucoup moins " productive " si l'Algérie ne sécurise pas ses frontières. L'Algérie est une clé de la résolution de la crise.
Le travail diplomatique est en cours après la visite d'Hillary Clinton à Alger lundi. François Hollande s'y rendra début décembre. L'Algérie a besoin d'être rassurée. Elle a peur, comme en Libye, que les conséquences d'une intervention mal conçue ne soient pas anticipées. Que l'on se retrouve dans une situation à l'afghane avec des mouvements combattants affaiblis mais mobiles et difficiles à neutraliser. Il est capital que l'Algérie soit d'accord pour bloquer ses frontières.
La Mauritanie et le Niger sont aussi très inquiets. Ils ont peur d'un reflux de combattants vers leurs territoires. De plus, le Niger craint des dérapages de l'armée malienne sur des populations touarègues, ce qui pourrait motiver certains éléments touaregs nigériens à aller combattre on pourrait même assister à la résurgence d'une rébellion touarègue au Niger. Un grand nombre de questions politico-sécuritaires se posent. "
Quand une intervention pourrait-elle être déclenchée ?
" Dans le meilleur des cas, compte tenu des délais de formation et d'équipement de l'armée malienne, une intervention ne pourrait se produire avant le deuxième trimestre de 2013, voire au second semestre. Les déclarations récentes du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ont été mal interprétées. Il a parlé de quelques semaines pour commencer à être présent au Mali pour contribuer à la montée en puissance de l'armée malienne, pas pour le début des combats. C'est un processus long, délicat. "
Hormis le poids de l'histoire, pourquoi la France veut-elle rester influente dans cette région ?
" La France, en Afrique de l'ouest, et particulièrement au Sahel, a des accords de défense avec de nombreux pays et a toujours été un partenaire de sécurité. Elle reste un acteur important par sa connaissance de la zone, ses capacités à mobiliser l'Union européenne, le conseil de sécurité de l'ONU. On a parlé d'intérêts miniers la France n'en a pas au Mali. En revanche, la France n'a pas intérêt à ce que cette zone soit déstabilisée, à ce que le Niger, avec lequel Areva entretient des liens stratégiques, ne soit destabilisé. Cette crise pourrait se diffuser vers l'Afrique de l'ouest et le Maghreb. De plus, le Nord mali, n'est pas si éloigné géographiquement de notre territoire. "
Voir aussi la vidéo avec l'analyse d'Alain Antil sur Dailymotion
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