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Cour suprême: « Les Républicains vont consolider leur majorité »

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Le président américain va annoncer dans les jours à venir qui remplacera la juge Ruth Bader Ginsburg, icône de la gauche américaine, à la Cour suprême. Cette nomination devrait renforcer la majorité républicaine, analyse Laurence Nardon.

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La disparition, samedi 18 septembre, de Ruth Bader Ginsburg, ajoute, si c’était encore possible, un degré d’hystérie à la campagne américaine. Nommée à la Cour suprême par Bill Clinton en 1993, RBG était une juriste de tout premier ordre. Elle était aussi devenue une star pour la gauche américaine, du fait de ses convictions progressistes. Elle était même surnommée «Notorious RBG», en référence au rappeur Notorious BIG.

Son remplacement est une question très importante, du fait du rôle primordial de la Cour suprême (dite SCOTUS pour Supreme Court of the United States) dans le système américain. Séparation des pouvoirs oblige, cette dernière est instituée par le 3ème article de la Constitution, après le Congrès (article 1) et le la présidence (article 2). Une loi de 1869 prévoit qu’elle sera composée de 9 juges. L’article 3 de la constitution prévoit que les juges resteront en poste tant qu’ils ont un «bon comportement» («during good behavior»), ce qui a été interprété jusqu’à présent comme autorisant un mandat à vie.

Depuis l’arrêt Marbury v. Madison de 1803, la Cour est chargée du contrôle de constitutionalité des lois fédérales et des lois des États. Elle est aussi le juge de cassation pour les juridictions fédérales et fédérées. Enfin, elle est le juge des élections, ce qui aura sans doute une grande importance cette année. En effet, compte tenu des difficultés liées au vote par correspondance, on peut s’attendre à de nombreux recours au lendemain du scrutin du 3 novembre.

Par ailleurs, la jurisprudence joue un rôle sans commune mesure avec ce que nous connaissons en France: les Américains ont un système de common law à la britannique, c’est-à-dire un système juridique qui ne repose pas sur un code de lois (comme notre Code civil), mais sur la jurisprudence élaborée par les tribunaux.

La Cour pose les règles sur de nombreux sujets politiques : respect du droit de vote (Shelby county v. Holder, 2013), financement des campagnes électorales (Citizens united, 2010), répartition des pouvoirs entre États et gouvernement fédéral…

C’est donc la Cour qui pose les règles sur de nombreux sujets politiques: respect du droit de vote (Shelby county v. Holder, 2013), financement des campagnes électorales (Citizens united, 2010), répartition des pouvoirs entre États et gouvernement fédéral… Ainsi que sur les questions de société: prière à l’école, avortement (avec l’arrêt Roe v. Wade en 1973), peine de mort, questions d’égalité raciale, droit des homosexuels, application de la loi sur la santé Obamacare… Cette jurisprudence évolue. Par exemple, jusqu’à présent, la Cour a refusé de se saisir d’affaires relatives à la GPA. Les justiciables font donc face à des situations très différentes selon les États. Mais cela pourrait changer avec de prochaines affaires.

La Cour a donc un rôle politique, même si les juges s’en défendent. À partir du New Deal dans les années 1930, la Cour a peu à peu adopté une attitude progressiste. Une longue période d’ «activisme judiciaire» s’est déroulée sous les Chief Justice Earl Warren (de 1953 à 1969) puis Warren Burger ( de 1969 à 1986). Mais le mouvement conservateur américain, de retour à partir des années 1960, avait bien compris que les questions de jurisprudence étaient l’un des terrains sur lesquels il devait combattre. En 1982, des étudiants en droit de Yale fondent la Federalist Society for Law and Public Policy Studies pour former des juges idéologiquement conservateurs et promouvoir leur nomination. Le but étant de «droitiser» les décisions de justice, avec comme objectif principal l’interdiction de l’avortement au niveau fédéral.

Aujourd’hui, les 5 membres conservateurs de la Cour sont ou ont été membres de la Federalist society: le chief justice John Roberts, Samuel Alito, Clarence Thomas, et les deux juges nommés par le président Donald Trump, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh. Et le juge Antonin Scalia avant eux. Ils appuient leur positionnement conservateur sur deux théories du droit: la théorie «textualiste» , qui exige une lecture littérale du texte constitutionnel et la théorie «originaliste» qui veut un retour aux intentions originelles des rédacteurs de la Constitution.

Face à eux, il ne reste que 3 juges progressistes: Steven Breyer, 82 ans, nommé par Bill Clinton, Antonia Sotomayor et Elena Kagan, nommées par Barack Obama. Il faut noter cependant qu’à plusieurs reprises ces dernières années, le chief justice Roberts a voté avec ses pairs progressistes, souhaitant renforcer l’image impartiale de la Cour. C’est pourquoi la nomination d’un sixième juge conservateur est si importante pour les Républicains.

Les deux noms qui circulent pour la Cour suprême sont ceux d’Amy Barrett, une catholique conservatrice et de Barbara Lagoa, une juge d’origine cubaine.

Le processus est bien balisé: les candidats sont nommés par le président, puis auditionnés par la Commission des affaires judiciaires du Sénat. Le Sénat débat et vote enfin la confirmation. Depuis 2017, ce vote n’est plus à la majorité qualifiée, mais à la majorité simple. Plus précisément, la procédure du filibuster, qui exigeait une majorité de 60 sénateurs pour passer au vote a été supprimée. Ce qui tombe bien pour les Républicains, qui ont actuellement une majorité de 53 sénateurs sur 100.

Ainsi, rien n’empêche Trump et le Sénat de nommer un nouveau juge rapidement, peut-être même avant les élections du 3 novembre. Trump devrait annoncer son choix le 25 ou 26 septembre. Les deux noms qui circulent sont ceux d’Amy Barrett, une catholique conservatrice et de Barbara Lagoa, une juge d’origine cubaine. Selon le New York Times, un vote serait possible dès la semaine du 19 octobre. À défaut, les sénateurs républicains pourraient encore voter pendant la période de transition (entre l’élection et l’investiture du 20 janvier).

Une telle rapidité aura sans doute un prix politique. En février 2016, lorsque le juge Antonin Scalia est mort, les sénateurs républicains ont refusé d’examiner la candidature du juge proposée par Obama, Merrick Garland, jugé centriste, car l’élection était trop proche. Aujourd’hui, Mitch McConnell (chef de la majorité au Sénat), Lindsay Graham (sénateur de Caroline du sud et président de la Commission sur les affaires judiciaires) et Ted Cruz (sénateur du Texas) ont retourné leur veste.

Furieux, les Démocrates évoquent l’idée d’augmenter le nombre de juges, comme Franklin D. Roosevelt avait menacé de le faire dans les années 1930. Ils comptent aussi sur la défection de trois ou quatre sénateurs républicains, comme Susan Collins (Maine) et Lisa Murkowski (Alaska), qui ont dit ce week-end qu’elles refuseraient de voter avant les élections. En revanche, Mitt Romney (Utah) a finalement dit qu’il prendrait part au vote dès que possible.

> Lire la tribune sur le site de FigaroVox.

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Laurence NARDON

Laurence NARDON

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Responsable du Programme Amériques de l'Ifri