Coronavirus: l’épidémie, nouvelle arme de la diplomatie chinoise
La « bataille mondiale des récits » de l’épidémie est lancée et la Chine veut être la première à l’écrire. Les mots inhabituels de Josep Borrell, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, résonnent comme un avertissement : après s’être concentrée sur son front intérieur, Pékin a repris l’offensive.
Dans une série inédite de tweets, le 27 mars, l’ambassade chinoise en France a vanté le « sens de la collectivité et du civisme qui fait défaut aux démocraties occidentales », moquant ceux qui collent l’étiquette de « dictature » au régime. « Lorsque l’épidémie a commencé à faire rage partout, c’est à la Chine que le monde entier a demandé de l’aide et non pas aux États-Unis, phare de la démocratie », se targue-t-elle, omettant de rappeler que l’Union européenne avait envoyé, fin janvier et dans le silence médiatique, 56 tonnes de matériels.
Diffusion de thèses complotistes
« C’est symbolique d’une nouvelle approche, plus agressive, de la diplomatie depuis un an, analyse Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Elle est décuplée avec le coronavirus. Les ambassadeurs, inconnus jusque-là, signent des tribunes, répondent aux médias. » Voire diffusent rumeurs et thèses complotistes. Comme l’a souligné l’exemple du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhao Lijian, qui soutenait le 12 mars l’hypothèse d’une introduction par les États-Unis du virus en Chine. Un tweet relayé par l’ambassade de Chine en France qui vient en contre-feu des déclarations de Donald Trump qualifiant le coronavirus de « virus chinois ».
Pékin, qui jouait jusqu’à présent la carte de la stabilité, du profil bas, connaîtrait-elle un « virage trumpien » ? C’est la thèse de Marc Julienne. « La Chine semble adopter la diplomatie du tweet », remarque-t-il. Et celle-ci ne fait pas dans la dentelle : « On traite facilement d’idiots les contradicteurs. L’ambassade de Chine «like» des tweets complotistes ou racistes. On est dans l’ingérence. » Une rupture majeure avec la politique étrangère initiée par Mao et Zhou Enlai, qui interdisait les interférences dans les affaires intérieures d’un État tiers.
« Crispation des relations »
En parallèle et à l’image de la stratégie russe, le gouvernement chinois tente de valoriser ses relations bilatérales avec les pays européens. Les médias chinois ont couvert abondamment les aides envoyées à l’Italie ou à la Hongrie, tandis que l’Union européenne était ostensiblement ignorée. Quand la présidente Von der Leyen est la seule leader européenne à ne pas avoir été appelée par Xi Jinping, la Serbie, candidate à l’intégration dans l’UE, faisait dans l’intervalle l’objet d’attentions extrêmes de la part de la Chine.
La tête dans le guidon ces dernières semaines, les pays européens et l’UE se réveillent aujourd’hui. En plus des propos de Josep Borrell, des critiques ont émergé sur les motivations réelles de l’altruisme chinois et la défectuosité de certains équipements envoyés. La remise en question du nombre de morts en Chine tend également à reprendre le pas sur la communication officielle du pouvoir chinois. Autant d’éléments qui augurent, selon Marc Julienne, d’une possible « crispation des relations ». « La Russie et les États-Unis étaient des ouragans. Pékin était un acteur de la stabilité. Si elle s’associe au mouvement des deux premiers, ce n’est clairement pas une bonne nouvelle. »
Le gouvernement « pas aveugle »
Alors que la question des approvisionnements en masques, médicaments et respirateurs, occupe la première place dans les priorités gouvernementales, pas question de froisser « l’ami chinois ». Mais « nous ne sommes pas aveugles », assure une source gouvernementale, qui préfère s’abstenir d’autre commentaire sur l’offensive médiatique de l’ambassade de Chine en France.
Car les tensions sur les commandes sont, de l’aveu de ce proche de l’exécutif, « gigantesques ». Une très grande attention est portée sur l’action diplomatique pour « faciliter les choses », alors qu’à l’intérieur de la Chine, des voix s’élèvent pour conserver la production nationale, en prévision d’une reprise de l’épidémie.
Retrouver l'article sur le site de La Voix du Nord.
Média
Partager