COP28 : « L’accord constitue un signal très fort, d’autant plus lorsque l’on sait d’où il vient »
Pour le spécialiste de l’énergie Thibaud Voïta, le compromis adopté à Dubaï sur le fait de s’éloigner des énergies fossiles était « assez inespéré ». Thibaud Voïta, consultant et chercheur associé au Centre énergie & climat de l’Institut français des relations internationales, analyse l'accord qui a été conclu mercredi 13 décembre à Dubaï, à l’issue de la 28e conférence mondiale sur le climat (COP28).
Comment qualifiez-vous l’accord conclu à la COP28 ?
Si la mention de « sortie » des fossiles a été exclue, le fait que les parties soient parvenues à s’entendre sur le fait de « s’éloigner » (« transition away ») des fossiles était assez inespéré. C’est certainement historique et cela constitue un signal très fort, d’autant plus lorsque l’on sait d’où il vient. Nous parlons des Emirats arabes unis [7e producteur de pétrole] et de Sultan Al-Jaber, le président de la COP28, qui est aussi à la tête de la compagnie nationale pétrolière. Et cette décision a été prise alors que, pendant tout l’automne, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, la Chine, les Etats-Unis, et bien sûr l’Arabie saoudite, n’avaient pas cessé de dire que sortir des fossiles était totalement irréaliste.
Le signal vous paraît donc suffisamment clair ?
L’un des points les plus importants est le fait que l’accord parle d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cela implique notamment de sortir des fossiles, mais aussi que les plans de la Chine et de l’Inde, qui prévoient pour l’instant d’atteindre la neutralité carbone respectivement en 2060 et en 2070, soient révisés. Or en général, ces pays n’aiment pas se faire dicter leurs politiques nationales par des accords internationaux.
Comment expliquer que les parties soient parvenues à ce consensus en dépit de très fortes oppositions ?
D’abord, on a reproché beaucoup de choses à Sultan Al-Jaber, pour de très bonnes raisons. Mais on a aussi toujours dit qu’il était un excellent diplomate, qu’il connaissait très bien le système et qu’il savait naviguer dans ces négociations.
Un autre élément critique, c’est la pression de la communauté internationale, qui est de plus en plus forte. On parle beaucoup de l’Union européenne, qui pousse pour des positions ambitieuses, mais il y a aussi tous les petits Etats insulaires et en développement qui sont très actifs et de plus en plus en colère. Pour eux, c’est de survie qu’il s’agit. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutierres, dont certains discours resteront dans l’histoire, a joué aussi un rôle important.
Est-ce donc un succès pour Al-Jaber ?
Si on considère qu’il a été extrêmement critiqué, encore une fois à juste titre, mais qu’il est parvenu à un résultat très positif, oui c’est un succès.
Les positions de certains Etats vous ont-elles surpris ?
Le rôle d’obstruction de l’Arabie saoudite n’est pas étonnant, c’est le fait qu’ils acceptent cet accord qui est une surprise ! J’ai plus de mal à cerner la position des Etats-Unis. D’un côté, John Kerry était dans son rôle classique de vétéran du climat, à pousser en faveur d’un accord ambitieux. Mais avant la COP, les signaux étaient beaucoup plus ambigus, sans doute parce qu’une élection se prépare. Et l’extraction de pétrole et de gaz n’a jamais été aussi importante sur le sol américain. Leur posture ne laissait pas penser qu’ils accepteraient un tel accord.
Maintenant, les Etats vont-ils le mettre en œuvre ?
C’est toute la question. A Glasgow en 2021, il a été décidé une réduction progressive de l’usage du charbon. Or la consommation, certes tirée par deux pays, la Chine et l’Inde, continue à augmenter chaque année, et devrait croître encore en 2024. Dans les COP, les négociateurs sont dans une bulle, et il y a donc une différence entre ce qu’ils décident et ce qui est fait au niveau national, ce qui n’est pas rassurant.
Mais alors, ces COP sont-elles utiles ?
Le discours sur l’inutilité des COP montre une réelle méconnaissance du système. D’abord, il faut rappeler qu’avant l’accord de Paris de 2015, nous étions sur une trajectoire de réchauffement de 5 °C. Nous sommes toujours sur une trajectoire catastrophique, mais plus modeste.
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