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Commerce : « La mise en œuvre de la sécurité économique voulue par l’UE suppose une politique cohérente entre l’Allemagne et la France »

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  Le Monde
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La chercheuse Marie Krpata, spécialiste des questions franco-allemandes, explique, dans une tribune au « Monde », la nécessité d’une entente franco-allemande en matière de sécurité économique, au moment où l’Allemagne est à la recherche de nouveaux partenariats, tandis que la France est encline au statu quo en ce qui concerne les accords UE-Mercosur.

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Le port du Havre
Le port du Havre
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Les accords commerciaux Union européenne (UE) – Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay), négociés en 2019 mais toujours pas entrés en vigueur à ce jour, illustrent les divergences franco-allemandes sur les questions commerciales, à la fois sur le fond et le calendrier.

L’Allemagne est à la recherche de nouveaux partenariats. Consciente de l’existence d’une fenêtre de tir, elle estime qu’on ne peut plus temporiser et s’efforce de rallier d’autres pays européens qui craignent parfois qu’elle veuille faire « cavalier seul ».

En France, si le débat autour de la réindustrialisation prédomine, celui autour de la conclusion de nouveaux accords commerciaux est quasi inexistant. Résultat : le tandem franco-allemand, si essentiel pour impulser une dynamique à l’échelle de l’UE, dont elle a urgemment besoin face à des défis amplifiés par la guerre d’agression de la Russie en Ukraine, est en quête d’une boussole.

 

Allemagne : prise de conscience de la « politisation du commerce »

Pourtant plusieurs voyants sont au vert pour la matérialisation des accords UE-Mercosur. L’UE cherche à réduire ses dépendances par rapport à des pays tiers et cible de nouveaux partenaires. Les pays du Mercosur souhaitent renforcer leur base industrielle grâce à des investissements étrangers. La présidence espagnole du conseil de l’UE, ainsi que la victoire aux élections présidentielles de Luiz Inacio Lula da Silva, qui succède au populiste Jair Bolsonaro, au Brésil laissaient également présager une issue positive à la conclusion de ces accords. Berlin et Paris parviendront-ils à s’accorder sur ce sujet ?

L’Allemagne se voit contrainte de réinventer son modèle économique face à un contexte géopolitique tendu qui remet en question la compétitivité de sa base industrielle. La sécurité des chaînes d’approvisionnement est devenue une priorité, et Berlin recherche des alternatives énergétiques à la Russie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
 

France : prise en compte des enjeux environnementaux

Dans ce contexte, les pays d’Amérique latine sont des débouchés et des sources d’approvisionnement potentiels pour l’Allemagne. Elle est prête à échanger son savoir-faire relatif au raffinage des matières premières contre l’accès à ces dernières, qui lui sont nécessaires pour sa transition énergétique (cela permettrait aux pays disposant de matières premières de développer leurs propres filières industrielles). Le « partenariat germano-chilien » conclu début 2023 va dans ce sens. Pour sa part, la France est réservée sur les accords UE-Mercosur. Elle dénonce la déforestation et le dumping social, et demande en outre que tout futur accord entre l’UE et le Mercosur soit conditionné au respect de l’accord de Paris sur le climat.

Dans une proposition de résolution déposée à l’Assemblée nationale en avril 2023, des députés de plusieurs partis politiques défendaient la souveraineté alimentaire et l’agriculture européenne, rappelant qu’en l’état l’accord UE-Mercosur n’est pas compatible avec l’agenda climatique et de biodiversité de la France.
 
Lors du discours devant les ambassadeurs, fin août 2023, Emmanuel Macron demandait que les importations vers l’UE soient soumises au respect des mêmes standards européens environnementaux et de santé pour les produits agricoles et alimentaires que ceux qui s’appliquent pour les industriels et agriculteurs européens. La position de l’Allemagne en matière commerciale est en revanche de réduire les irritants - elle s’est notamment montrée prudente concernant la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières –, et d’éviter de se laisser entraîner dans une escalade impliquant des mesures de rétorsion qui affecteraient des secteurs comme l’automobile, sur lesquels elle est particulièrement exposée.

Un risque de fragilité et de cohérence pour l’UE

Les marges de manœuvre de l’UE se réduisent, face à la tendance au repli et aux pressions exercées par les Etats-Unis et la Chine (politiques industrielles, contrôle aux exportations, mesures de coercition…). Les pays du Mercosur s’agacent des contraintes normatives de plus en plus exigeantes que l’UE souhaite leur imposer.

Or ils sont désormais en position de force et disposent d’alternatives à l’UE. La Chine leur promet notamment des investissements et un renforcement des liens commerciaux sans conditionnalité. Le nouveau mot d’ordre au sein de l’UE est la « sécurité économique », portée par la présidente de la Commission européenne en juin 2023. Sa mise en œuvre suppose que les Etats membres de l’UE s’accordent et mènent une politique plus cohérente, à commencer par l’Allemagne et la France.
 
Or, la teneur des débats sur les accords UE-Mercosur fait craindre que la France et l’Allemagne évoluent à différentes vitesses sur le versant offensif de la sécurité économique que sont les accords commerciaux. Loin d’être anodine, une divergence en la matière entre les deux pays fragiliserait un peu plus la cohérence politique de l’UE.

 

Marie Krpata est chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

 

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