Claude Meyer : « La Chine est saisie d’une fièvre religieuse »
Le sinologue dresse le portrait d’une République populaire officiellement athée et communiste, mais qui connaît aujourd’hui un spectaculaire renouveau religieux. Conseiller au centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Claude Meyer est l’auteur du Renouveau éclatant du spirituel en Chine, aux Éditions Fayard.
Diplômé en philosophie, sociologie et études asiatiques, il a publié de nombreux ouvrages, dont La Chine, banquier du monde (Fayard, 2014) et L’Occident face à la renaissance de la Chine (Odile Jacob, 2018).
- « Il y a des aspirations spirituelles que le Parti ne peut pas étouffer malgré tous ses efforts visant à introduire une forme de religion civile. L’idéal communiste ne peut plus combler les aspirations spirituelles des Chinois. » .
LE FIGARO. - La religion peut-elle avoir une place dans une société dominée à la fois par le Parti communiste chinois (PCC), par le matérialisme et l’individualisme ?
Claude MEYER. - Contrairement au désir d’éradication, depuis Mao et tout au long de l’histoire récente, c’est un échec cinglant pour le pouvoir chinois. D’ailleurs, la question se pose de savoir si la Chine est toujours communiste. Le durcissement de l’athéisme ainsi que le désir au sein du PCC de revenir à des racines rouges, y compris maoïstes, sont incontestables. Mais cela ne signifie pas que la Chine dans son ensemble devient de plus en plus communiste. La Chine compte 95 millions de membres du PCC, dont tous ne sont pas attirés par l’idéologie, mais souvent cherchent un raccourci pour leur carrière. Face à cela, on a 360 millions de gens qui préfèrent se détourner de Marx et Lénine pour embrasser le bouddhisme ou le christianisme. Sans même parler du regain du confucianisme. Le fait qu’il y a quatre fois plus de croyants que de membres du PCC est une indication forte sur l’évolution de la société chinoise. Face à l’essor du matérialisme et au consumérisme qui ont accompagné l’ouverture du pays, la religion a incontestablement trouvé sa place.
Vous évoquez dans votre livre une fièvre religieuse. Comment se manifeste-t-elle ?
Il existe de très nombreux signes. On voit de nouvelles églises, de nombreux temples qui sont reconstruits ou agrandis, le développement de festivals et du tourisme religieux. La première raison est que la spiritualité est profondément enracinée dans la psyché chinoise. D’une certaine façon, c’est un retour à ce qu’a été et ce que sera la Chine. Bien qu’ancré pendant plusieurs décennies, le communisme ne sera finalement qu’une sorte de parenthèse. La société a beau être matérialiste, individualiste et consumériste, il y a des aspirations spirituelles que le Parti ne peut pas étouffer malgré tous ses efforts visant à introduire une forme de religion civile. Cette volonté d’éradiquer tout élan spirituel n’est pas nouvelle en Chine. À son arrivée en 1949, Mao considère les religions comme des vieilleries. Il prend toutes les mesures nécessaires pour emprisonner les croyants, fermer les lieux de culte. À cette époque, il y a dans cette société agraire très pauvre une adhésion à l’idéal communiste, qui débouche sur une forme d’homme nouveau. Arrive Deng Xiaoping, qui se rend compte que les pays voisins de la Chine connaissent un développement extraordinaire. Il décide alors de mener une ouverture à l’égard de l’étranger et des réformes intérieures pour stimuler la croissance. Cela s’accompagne d’une forme d’abandon de l’idéal communiste au sens du collectivisme pur et dur au profit d’une religion de l’efficacité économique. Cela a pour résultat une très forte élévation du niveau de vie et ses conséquences, le consumérisme, le matérialisme et la corruption. C’est à partir de 1980 que la société chinoise perd son idéal communiste et se tourne vers les religions. Derrière le terme de sinisation se dessine clairement une démarche de prise de contrôle idéologique sur les Églises par le Parti.
Vous pointez une sinisation des religions. Est-ce une mise sous tutelle du Parti communiste ?
Derrière le terme de sinisation se dessine clairement une démarche de prise de contrôle idéologique sur les Églises par le Parti. Et notamment pour le christianisme, qui est aux yeux du pouvoir porteur de valeurs occidentales et de forces hostiles. Le PCC s’emploie ainsi à remplacer un certain nombre de symboles pour que les religions soient purement chinoises et détachées de toute influence étrangère. Pékin, qui n’hésite pas à réécrire la Bible ou à remplacer les images pieuses par la quasi-déité que représente Xi Jinping, veut aussi prendre le contrôle de la formation des clercs et du contenu des sermons.
Reconnaître l’autorité du pape est-il une notion insupportable pour Pékin ?
Pékin ne supporte pas en effet le pouvoir du pape dans la nomination notamment des évêques, qui est le fondement même de l’Église de Pierre et de la continuité dans l’Église universelle.
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