Cinq minutes pour comprendre les pertes abyssales des compagnies pétrolières
Total, Schell, Eni… Les géants du pétrole ont enregistré des résultats catastrophiques au deuxième trimestre. Une chute due à la pandémie de Covid-19 et à la guerre des prix.
Elles sont aussi les victimes du coronavirus. Plusieurs compagnies pétrolières ont présenté leurs résultats ce jeudi, et ils sont catastrophiques. Le géant des hydrocarbures Royal Dutch Shell a annoncé une perte nette de 18,1 milliards de dollars au deuxième trimestre. Total, de son côté, accuse un trou de 8,4 milliards. L'Italien Eni perd, lui, 4,4 milliards. Soit le « pire moment de l'histoire de l'industrie pétrolière et gazière », affirme son patron, Claudio Descalzi, dans un communiqué.
Comment expliquer ces mauvais résultats ?
L'épidémie de Covid-19 a paralysé l'économie mondiale. La demande en hydrocarbures a chuté et les prix ont dégringolé à leur tour. En réaction, les entreprises pétrolières cherchent à diminuer leurs investissements. « Il faut distinguer le résultat opérationnel et les résultats exceptionnels », insiste Olivier Appert, conseiller du centre Energie de l'IFRI et ancien président de l'Institut français du pétrole.
Mercredi soir, Total avait annoncé de lourdes dépréciations d'actifs à hauteur de 8,1 milliards de dollars. Cette révision fait suite à la chute des cours en raison de la pandémie de coronavirus (pour 2,6 milliards). Le groupe veut également abandonner une part de ses hydrocarbures trop chère à produire : les sables bitumineux au Canada (représentant 5,5 milliards). Un investissement coûteux pour un processus polluant, alors que le groupe table sur l'hypothèse d'un baril de Brent valant 35 dollars cette année, contre 64 dollars l'an passé. Il prévoit une remontée jusqu'à 60 dollars en 2023, avant de revenir à 50 dollars à long terme.
Le coronavirus est-il l'unique responsable de la crise ?
Aux effets de la pandémie, s'ajoute la guerre des prix sur le marché mondial. « Au mois de mars, l'Arabie Saoudite et la Russie ont déclenché un véritable contre-choc pétrolier », affirme le conseiller du centre Energie de l'IFRI. Alors que Riyad, deuxième producteur mondial, et Moscou, le troisième, avaient célébré une alliance inédite en 2016 en s'accordant sur leurs quotas de production en vue d'entraver la concurrence américaine, le Kremlin a rompu l'accor d.
En réponse, le leader saoudien Mohammed ben Salmane a ouvert les vannes, déclenchant une guerre des prix à la baisse. Alors que la demande se retrouve progressivement laminée par la crise sanitaire, le pétrole inonde le marché. Son cours s'effondre, passant de 64 dollars à 18, atteignant même un prix négatif en avril. Reparti à la hausse, il est stabilisé autour de 43 dollars aujourd'hui, un niveau bien inférieur à celui observé en 2019.
Quelle réponse pour amortir le choc ?
En avril, l'OPEP + (un OPEP élargi à 23 pays) a annoncé un accord historique. Au bout de onze heures de discussions, les Etats se sont accordés pour diminuer la production de 10 000 barils par jour, soit une baisse de 10 % de l'offre mondiale. La Russie et l'Arabie Saoudite ont accepté d'y contribuer de moitié. Un engagement ambitieux pour Francis Perrin, spécialiste des questions énergétiques à l'Iris : « Jamais dans leur histoire, l'OPEP et ses alliés n'avaient décidé de baisser leur production de cette ampleur. »
Ces réductions massives ont commencé à s'appliquer début mai 2020 et pourraient durer deux ans. « Sans de telles décisions, la situation du secteur pétrolier serait beaucoup plus grave aujourd'hui », soutient le chercheur associé au Policy Center for the New South.
L'incertitude actuelle met-elle en danger cette stratégie ?
Un grand nombre de confinements nationaux pourraient mettre en péril cette stratégie, relève Francis Perrin. « En revanche, des confinements locaux, comme ce que l'on observe actuellement dans certains pays, ne sont pas incompatibles avec la poursuite de l'amélioration de la situation du secteur pétrolier », note-t-il.
Cette incertitude se retrouve au sein même de l'accord exceptionnel de l'OPEP +. « Un mariage contre-nature », pour Olivier Appert, où sont réunis des ennemis comme l'Arabie Saoudite et l'Iran, associés à la rivalité de la Russie, ou encore le Venezuela en banqueroute. Le respect de leur engagement est lié à une grande instabilité géopolitique. « Certains acteurs souhaitent sortir le plus tôt possible de cet accord et retrouver leur liberté », évalue le chercheur.
La nature de cette crise pétrolière est-elle inédite ?
Si des chutes du prix de pétrole sont déjà arrivées dans l'histoire, le baril n'a jamais été la victime collatérale d'une épidémie. Un contexte unique qui semble de mauvais augure pour la demande de pétrole future, selon Olivier Appert. « La dynamique en cours, et accélérée par la pandémie, correspond à un ralentissement de la consommation pétrolière », estime le spécialiste. Une évolution déjà notable dans les pays de l'OCDE, notamment aux États-Unis où la consommation de pétrole stagne. « N'enterrons pas trop vite le pétrole, tempère Olivier Appert, car il reste indispensable pour alimenter la croissance des pays émergents, comme la Chine ou l'Inde et de ceux en développement. »
Moins de pétrole, une bonne nouvelle pour l'environnement ?
Pour Francis Perrin, un prix du pétrole élevé, ce qui n'est pas le cas en 2020, favorise la transition énergétique. « Cela pousse les consommateurs à tenter de l'économiser et contribue à rendre compétitives d'autres sources d'énergie. » Ces énergies non carbonées permettraient de diminuer la consommation de combustibles fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel). Et de conclure : « En résumé, un bas prix du pétrole n'est pas bon pour la planète ».
> Lire l'intégralité de l'article sur le site du journal Le Parisien
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