Chine : « Xi pourrait, pour rester au pouvoir, attaquer Taïwan en 2027 »
Pékin a échoué à empêcher l’élection du candidat du DPP à Taïwan. Sa politique de coercition militaire devrait cependant se poursuivre. Avec le risque d’une hypothétique aventure militaire en 2027, année du XXI e Congrès du Parti.
La victoire samedi de Lai Ching-te, candidat du Parti démocrate progressiste (DPP), à la présidentielle à Taïwan, est exactement ce que Pékin a tenté d’éviter. Au-delà des déclarations vengeresses du style « ce vote n’entravera pas la tendance inévitable d’une réunification avec la Chine », quelles seront les options de Pékin dans les années à venir ? On fait le point avec Marc Julienne, responsable Chine à l’Ifri (Institut français des relations internationales).
La Chine voulait éviter l’élection du candidat du DPP : c’est raté. Va-t-elle changer de stratégie vis-à-vis de Taïwan ?
La stratégie chinoise n’avait déjà pas marché lors des précédentes élections, en 2020, quand Pékin avait voulu empêcher la réélection de la présidente Tsai Ing-wen (DPP, partisane d’une certaine fermeté face à Pékin, NDLR). Le pouvoir chinois était, à ce moment-là, en pleine répression des mouvements pro-démocratie à Hong Kong. Ce contre-exemple avait poussé les Taïwanais à réélire Tsai Ing-wen avec un nombre record de voix. Je ne vois donc guère les Chinois changer de stratégie. Car depuis quelques années, la politique de la Chine vis-à-vis de Taïwan, reste très constante. On peut considérer cela comme un élément positif. Ce qui l’est moins, c’est que cette politique est assez brutale et coercitive, et le plus souvent contre productive.
La Chine joue sur un mélange d’intimidation, avec des manœuvres militaires, et de séduction, via les réseaux sociaux. Elle va poursuivre dans ces directions ?
Juste avant cette élection, la coercition militaire chinoise a été un petit peu réduite. Ces derniers temps, la Chine a surtout envoyé des ballons de surveillance au-dessus du territoire taïwanais mais il n’y a pas eu de mouvements militaires de grande ampleur . Il y a certes eu des intrusions aériennes, mais pas plus qu’à l’habitude. Ces manœuvres devraient probablement s’intensifier à l’approche de l’investiture du futur président, prévue le 20 mai.
Pourrait-il y avoir un durcissement des relations économiques entre Pékin et Taïpei ? De quoi faire du mal à l’économie de Taïwan ?
Je vois mal la Chine se lancer dans de la coercition économique, en limitant l’accès des investisseurs taïwanais en Chine. Ce serait se tirer une balle dans le pied : elle est dans une situation économique très compliquée. Au troisième trimestre de l’an dernier, les investissements directs étrangers étaient négatifs en Chine, un vrai cataclysme. Or, Taïwan a été un investisseur très significatif en Chine : c’est en partie grâce à elle que la Chine a réussi son décollage économique. Ce serait donc très surprenant que Pékin tente d’écarter ces investisseurs.
En matière de coercition économique, Pékin a surtout, ces dernières années, bloqué l’importation de produits alimentaires et agricoles taïwanais. La Chine a aussi organisé dès 2016, après la première élection de Tsai Ing-wen, une réduction drastique du flux de touristes chinois vers Taïwan. Cela a dans un premier temps handicapé l’industrie touristique taïwanaise.
Mais Taïwan a mené une politique habile et efficace puisqu’en 2019, elle a battu le record du nombre de touristes étrangers sur son territoire. Les Chinois ont été remplacés et supplantés en nombre par d’autres touristes asiatiques, des Japonais et des Coréens.
Le futur président n’aura plus de majorité au Parlement, et face à lui une opposition forte mais divisée. Pékin pourrait utiliser ce contexte politique ?
Je ne pense pas. La Chine maîtrise mal les processus et les systèmes démocratiques. Les électeurs taïwanais ont en effet donné une courte majorité au Kuomintang (52 sièges contre 51 au DPP). Et, avec huit sièges, le petit TPP, Parti du peuple taïwanais, sera en mesure de jouer l’arbitre. C’est un parti qu’on peut qualifier de populiste, dont le leader, Ko Wen-je, a d’abord été soutenu par le DPP avant de se rapprocher du Kuomintang, favorable à un rapprochement avec la Chine. Et récemment, Ko Wen-je a évoqué le concept de « deux rives, une seule famille », promu par le camp pro unification, revendiquant ainsi une identité chinoise aux dépens de l’identité taïwanaise. Ce qui va à l’encontre de l’opinion publique.
De quoi faire évoluer la ligne du président face à Pékin ?
La politique vis-à-vis de Pékin dépend très largement du président. Lai Ching-te est vu par la Chine comme un indépendantiste radical, alors qu’il a répété vouloir poursuivre la ligne de Tsai Ing-wen, c’est-à-dire une certaine fermeté mais aussi la volonté d’avoir des relations apaisées et un dialogue avec Pékin. Elle a aussi réussi à rassembler un soutien international beaucoup plus fort autour de Taïwan, en gagnant la confiance des dirigeants, des parlementaires et des médias à travers le monde.
Il y a cependant toujours cette menace d’une intervention militaire chinoise sur Taïwan…
C’est une hypothèse de travail plausible, mais aussi l’objet de beaucoup de spéculations. Cela dépendra du comportement de Taïwan, mais aussi d’autres acteurs comme les Etats-Unis. Mais surtout de la Chine populaire, des calculs stratégiques de Xi Jinping, du contexte intérieur. Avant les prochaines élections de 2028 à Taïwan, il y aura, en 2027, le centenaire de l’Armée populaire de Libération, à qui Xi Jinping a ordonné d’être, à ce moment-là, prête au combat. Ce sera aussi l’année du XXIᵉ Congrès du parti communiste chinois, l’occasion de nommer de nouveaux responsables.
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