Ces « flibustiers des affaires » qui prospèrent en Centrafrique
L’ex-joueur de tennis Boris Becker s’est récemment prévalu d’un statut de diplomate centrafricain. Bangui a aussitôt démenti, mais le pays demeure un terrain de jeu pour les escrocs.
Escrocs et conseillers véreux sont nombreux à rechercher passeports diplomatiques et bonnes affaires en Centrafrique, pays où l’autorité étatique a toujours eu du mal à s’imposer. Mi-juin, l’ancienne star du tennis Boris Becker a, pour se défaire d’une poursuite pour dette à Londres, brandi un passeport diplomatique, assurant avoir été nommé à un poste d’« attaché auprès de l’Union européenne ».
A Bangui, c’est la surprise. « Il n’est jamais venu en Centrafrique », jure un employé onusien. Ses liens avec la Centrafrique ne tiendraient qu’à une seule rencontre et une poignée de mains avec le président Faustin-Archange Touadéra, le 26 avril à Bruxelles, selon une photo publiée sur Twitter par l’ancien joueur.
« J’ai parlé au président, il se rappelle l’avoir rencontré à Bruxelles, parmi beaucoup d’autres personnalités, mais il ne lui a jamais accordé ce statut d’attaché, qui n’existe pas dans la nomenclature de l’ambassade de la République de Centrafrique à Bruxelles », rétorquait au Monde Afrique, vendredi 15 juin, Théodore Jousso, ministre des transports et proche de la présidence, précisant qu’il n’existe « aucun décret, aucun document attestant de cette nomination ».
Mardi, le directeur de cabinet du ministre centrafricain des affaires étrangères s’est voulu définitif sur cette affaire, affirmant que le passeport diplomatique détenu par Boris Becker est « un faux » et affiche un numéro de série correspondant à « des passeports vierges volés en 2014 ».
« Compte tenu de l’extrême faiblesse et de la corruptibilité des autorités, les escrocs et aigrefins de tous bords trouvent toujours le moyen d’accéder au président et de profiter de la situation », considère Thierry Vircoulon, spécialiste de la Centrafrique à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Ce pays « est un terrain parfait pour les flibustiers des affaires », dit-il.
Des « rapaces »
Ces nominations d’étrangers ne datent pas d’hier en Centrafrique. Dans les années 2000, le trafiquant d’armes russe Viktor Bout, surnommé le « marchand de mort », a ainsi été directeur général de la compagnie aérienne Centrafrican Airlines. Il a depuis été arrêté en Thaïlande, en 2008, et extradé aux Etats-Unis, où il a été condamné à vingt-cinq ans de prison par la justice américaine pour trafic d’armes. En juin 2002, l’ex-gendarme français Paul Barril, reconverti dans la sécurité privée en Afrique, avait été nommé responsable de la lutte contre le terrorisme intérieur et extérieur par le président Ange-Félix Patassé (1993-2003).
Sous François Bozizé, qui l’a renversé en 2003, le même schéma a cours, par lequel sont nommés de nombreux « courtisans véreux » et « conseillers douteux, mais parlant haut et fort », selon la formule de Jean-Pierre Tuquoi dans l’ouvrage Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas. « Tous ces rapaces n’ont qu’une idée en tête : faire fortune très vite. Les uns siphonnent l’argent de l’aide internationale, les autres escroquent sans vergogne l’Etat », écrit le journaliste français dans ce livre paru en 2017.
A l’époque, « de nombreux conseillers et proches de François Bozizé ont bénéficié de passeports de complaisance » moyennant finances, indique, dans une plainte déposée en France en 2015 contre M. Bozizé, William Bourdon, avocat du gouvernement centrafricain. « Aujourd’hui à Bangui, tout passe encore par le palais », assurait à l’AFP, fin 2017, un haut responsable politique centrafricain, estimant que « non, le temps des affaires n’est pas fini ».
Il y a quelques jours, un autre Belge, le diamantaire Peter Meeus, a été nommé conseiller du gouvernement, avec pour mission de travailler sur tout ce qui touche au Processus de Kimberley, le système de certification internationale chargé d’éliminer du marché les diamants « sales ».
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