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Birmanie : l’ultime sacrifice d’Aung San Suu Kyi

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éditorial paru dans Ouest France

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Le choc du coup d’État mené par le général Min Aung Hlaing passé (1er février 2021), on a vite deviné que le sort de l’ex-Conseillère d’État Aung San Suu Kyi (ASSK) était scellé.

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Le bras de fer engagé depuis 1988 trouvait là une issue pathétique qui résonne comme un échec pour les deux protagonistes, mais qui, curieusement, pourrait peut-être aussi amorcer un virage nécessaire pour les équilibres politiques de la Birmanie à venir.

Après la révolution de 1988 (année de création de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti d’ASSK), les élections triomphantes de 1990 sont une première fois confisquées par la Tatmadaw (l’armée birmane) qui multiplie les actions vexatoires à l’égard de sa dirigeante charismatique, n'hésitant pas à l'enfermer - assignation à résidence surveillée et prison - pendant près de quinze ans ; on soupçonne également son influence dans la tentative d'attentat sur sa personne organisée en mai 2003.

La transition démocratique amorcée avec la constitution de 2008 lui permettra de prendre l'armée à son propre piège ; elle sera élue députée en 2012 et gagnera haut la main les élections en 2015 et à nouveau en 2020.

Son objectif est clair : consolider la transition en cours, ce qui passe par une révision constitutionnelle (qui corrigerait les pouvoirs exorbitants de la Tatmadaw) et une réduction progressive de la prédation de l’armée sur certains circuits économiques. Son action gouvernementale a été à maintes reprises bridée par la Tatmadaw. Forte des résultats du dernier scrutin, ASSK était déterminée à mener à bien les réformes nécessaires. D'où ce coup de force perpétré alors même que le nouveau Parlement devait se réunir.

Mais les choses ne se sont pas passées comme l'armée l’espérait : après bientôt dix ans de transition qui ont bouleversé les pratiques politiques et l'accès à l'espace public, les Birmans ne veulent pas d’un retour en arrière qui signerait un blocage total de la transition, voire une régression cinquante ans en arrière.

Ils sont descendus dans la rue pour afficher leur opposition, ont boycotté les produits vendus par l'armée, ont maintenu leurs mouvements de grève, se sont organisés avec le CRPH (Comité de représentation du Parlement), puis le Gun (Gouvernement d'union nationale).

Sur la défensive, le gouvernement en place a répondu en lançant des opérations militaires à travers le pays, en annonçant la prochaine dissolution de la LND (Ligue nationale pour la démocratie), et en poursuivant la prix Nobel de la paix de sept chefs d'inculpation.

En chercher à la calomnier, à la délégitimer, l'armée veut la bannir définitivement de la vie politique birmane. Et lui impose l’ultime sacrifice personnel d’une longue série : s’effacer.

Mais l’esprit va demeurer et il s'agit d’un précieux legs. Plusieurs évolutions décisives attestent d’un nouvel élan : d’une part, la population, notamment les jeunes, montre une grande combativité et une grande audace pour prendre son destin politique en main et refuser le fait accompli (en dépit du coût direct sur son niveau de vie et d’insécurité) ; d'autre part, la question ethnique, si centrale, est au centre des débats animés par les représentants ethniques eux-mêmes, un vrai progrès pour reformuler le vivre-ensemble ; enfin, le bannissement de la LND va contraindre les mouvements politiques à de nouveaux équilibres, probablement plus proportionnés en faveur de courants jusqu’ici écrasés par la domination LND.

La Birmanie est à un point de non-retour et le procès qui s’est ouvert le 14 juin va démontrer l’inanité des ambitions militaires.

En se défendant avec dignité, Aung San Suu Kyi entre dans l’arène avec en arrière-plan, son projet qui ne l’a pas quitté depuis 1988 : faire entrer la Birmanie dans une modernité prometteuse. Tous les moyens sont bons.

 

> Article paru dans Ouest-France

 

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Sophie BOISSEAU du ROCHER

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Ancienne Chercheuse associée, Centre Asie de l'Ifri

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