"Aujourd'hui, il n'y a plus d'opposition légale possible en Turquie"
France 24 revient avec la chercheuse Dorothée Schmid sur les enseignements du référendum en Turquie sur le renforcement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, validé le 16 avril par une courte majorité des électeurs.
Pour comprendre les conséquences de ce scrutin, France 24 a interrogé Dorothée Schmid, auteure de "La Turquie en 100 questions" (éd. Tallandier), qui dirige le programme "Turquie contemporaine" de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
France 24 : Recep Tayyip Erdogan rêvait d'un plébiscite lors de ce référendum sur les pouvoirs présidentiels. Les résultats étriqués montrent au contraire un pays fracturé autour de sa personnalité. Sa légitimité en tant que président en ressort-elle écornée ?
Dorothée Schmid : Il s’agit tout de même d’une victoire et d’une bonne nouvelle pour le président Erdogan, qui a réussi son pari alors que les sondages disaient ces dernières semaines que le "oui" et le "non" étaient au coude-à-coude. Le résultat du référendum confirme que le pays est profondément divisé, puisque près de 49 % des électeurs turcs ont pris la peine de montrer leur désaccord avec ce que le chef de l’État voulait finalement leur faire avaler comme une transformation accélérée du régime. Je ne crois pas qu’Erdogan reçoive le message très clairement. Pour lui, il faut juste gagner l’élection et à partir de ce moment-là, la légitimité est acquise. C’est de cette manière qu’il gouverne depuis le début, en ayant recours à des votations très régulières afin de retremper sa légitimité. Et le 16 avril, tout ce qu’il a retenu, c’est qu’il a gagné l’élection.
L'état d'urgence a été prolongé de trois mois en Turquie au lendemain de la victoire du "oui". Comment interprétez-vous cette mesure ?
C’est très impressionnant, je ne m’attendais pas à la reconduction de l’état d’urgence. Cela peut signifier que le président n’a pas complétement confiance dans l’état d’esprit du pays et qu’il craint que la situation ne se tende particulièrement à cause des résultats, parce que finalement, aujourd’hui, il n’y a plus d’opposition légale possible en Turquie. Donc il faut craindre que toute l’opposition ne se radicalise et qu’elle ne devienne pratiquement qu’une opposition de rue.
Comment voyez-vous l'avenir des relations de la Turquie d'Erdogan avec l'Union européenne (UE) ? Et quid des alliances de ce pays sur la scène internationale ?
Parmi toutes les dernières annonces programmatiques d'Erdogan, nous avons vu un référendum qui rétablirait la peine de mort en Turquie et d’un autre qui consiste à demander à la population s’il faut poursuivre le processus d’adhésion à l’UE. Il s’agit donc de deux signaux extrêmement négatifs envoyés aux Européens. Sur ses choix d’alliances qui semblent assez erratiques, on a vu qu’il avait approuvé les récentes frappes américaines en Syrie, ce qui revient à tendre à nouveau les relations avec la Russie, dont on pensait que la Turquie s’était beaucoup rapprochée. Au final, on a le sentiment, depuis qu’Erdogan a limogé son ancien Premier ministre Ahmet Davutoglu, qui était l’artisan de sa grande politique étrangère, qu’il n’y plus vraiment de cap diplomatique en Turquie.
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