Au moins un proche de Donald Trump connaît l’Afrique… celle des champs de pétrole
Le futur secrétaire d’Etat Rex Tillerson, ex-patron d’ExxonMobil, a son réseau dans l’Afrique « utile » : Nigeria, Libye, Angola, Tchad et Mozambique.
Rex Tillerson, le futur secrétaire d’Etat américain et ex-président d’ExxonMobil, n’est pas réputé grand connaisseur du continent africain. Il est davantage à son aise en Russie, pays où il a travaillé il y a une quinzaine d’années en tant que président d’Exxon Neftegas chargé des projets gaziers de la major sur l’île de Sakhaline. Rex Tillerson a pourtant, de par ses fonctions de patron du groupe américain (2006-2016) et de directeur de l’exploration-production (2003-2006), entretenu des relations privilégiées avec certains Etats clés d’Afrique ainsi que placé des personnalités de confiance à des postes à responsabilités.
S’il ne s’est pas rendu très fréquemment dans ses filiales africaines, il a été parfaitement informé du contexte politique et sécuritaire dans lequel elles travaillent et sur la façon de fonctionner des dirigeants des pays dans lesquels le groupe pétrolier est actif. De plus, son statut de patron de la plus grande société pétrolière du monde lui a permis d’être reçu en Afrique comme un chef d’Etat. Lors de ses rares séjours sur le continent, les rencontres n’étaient organisées qu’avec les présidents. De fait, l’implantation d’ExxonMobil en Afrique recoupe souvent les priorités politico-sécuritaires de Washington.
Libye, Nigeria, Angola : pragmatisme avant tout
Rex Tillerson est un pragmatique. Il sait sceller des accords avec tout type d’homme politique. Un an après la levée des sanctions américaines en Libye, son groupe a été l’un des premiers à retourner dans ce pays en 2005. Rex Tillerson a même fait le choix de se rendre en Libye en février 2007 afin d’y rencontrer Mouammar Kadhafi. Exxon et Mobil – avant leur fusion en 1998 – ont produit en Libye depuis les années 1950 et en sont partis dans les années 1980 lors de la mise en place des sanctions contre le régime. Si M. Tillerson n’a pas devancé l’arrêt des sanctions, il n’a pas hésité une seconde, au vu de la géologie extraordinaire du pays – première réserve de brut du continent avec 41 milliards de barils – à y investir à nouveau.
Exxon est implanté en Afrique depuis près d’un siècle. Au Nigeria, pays le plus stratégique dans son portefeuille où il produit entre 200 000 et 300 000 barils par jour (gisements d’Erha et Bonga), Rex Tillerson a su habilement placer l’un de ses poulains, Emmanuel Ibe Kachikwu, comme secrétaire d’Etat au pétrole et président de la société d’Etat NNPC. Avant de prendre ses fonctions en 2015, M. Kachikwu était au conseil d’administration de la division africaine d’ExxonMobil.
Souvent réservé à des anciens de Shell, le poste de secrétaire d’Etat est cette fois-ci revenu à un candidat venant d’ExxonMobil au tropisme très américain – il est diplômé de Harvard en droit. Le président nigérian élu en 2015, Muhammadu Buhari, a rapidement saisi l’opportunité d’avoir à ce poste clé de l’économie nigériane une personnalité soutenue par Washington. Les Etats-Unis avaient une relation très dégradée avec l’administration de son prédécesseur, Goodluck Jonathan, et il était temps de tourner la page.
Autre pays clé pour Rex Tillerson, l’Angola, où son ex-compagnie opère près de 500 000 barils par jour sur le bloc 15. Actif depuis 1993 dans cet Etat à l’époque en pleine guerre civile, M. Tillerson a eu tout le loisir de comprendre les subtilités du fonctionnement du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA, parti au pouvoir) et de son président depuis 1979, José Eduardo dos Santos. Malgré le départ annoncé de ce dernier dans les prochains mois, ExxonMobil a patiemment tissé des réseaux au sein du MPLA. Rex Tillerson n’aura ainsi aucun mal à discuter avec les autorités de la troisième économie d’Afrique subsaharienne.
Tchad et Guinée équatoriale : pétrole et renseignement
L’un des projets géopolitiques phare sur lequel ExxonMobil s’est engagé dès la fin des années 1990 est le développement des gisements de Doba, dans le sud du Tchad. Dans ce pays éminemment complexe pour un pétrolier car totalement enclavé, ExxonMobil et ses partenaires américains de Chevron et malaisiens de Petronas ont construit un oléoduc de plus de 1 000 km traversant le Cameroun afin d’atteindre le port d’exportation de Kribi.
Si la production, lancée en 2003, a atteint 168 000 barils par jour en 2004, elle oscille depuis dix ans autour de 100 000 barils par jour. Or ce volume est bien trop faible pour une société comme ExxonMobil. Ce n’est donc pas pour des raisons de profitabilité que le groupe reste au Tchad. Chevron a d’ailleurs vendu ses parts à l’Etat tchadien en 2014.
Sa présence a plutôt une utilité politique forte pour Washington. Le département d’Etat considère le Tchad comme un pilier sécuritaire dans la région, aux avant-postes de la lutte contre les mouvements terroristes comme Boko Haram, et où il est important de faire remonter de l’information. Nombreux sont les gradés et sénateurs américains rencontrant le patriarche Idriss Déby à N’Djamena. Même si la décision d’implantation au Tchad a été prise sous l’ancien président d’ExxonMobil, Lee Raymond, c’est bien avec Rex Tillerson que le projet a véritablement démarré. Le futur secrétaire d’Etat n’aura pas besoin de briefing pour comprendre l’intérêt stratégique du Tchad dans le Sahel et l’importance de la personnalité d’Idriss Déby dans les affaires africaines.
Dernier pays où ExxonMobil produit en Afrique : la Guinée équatoriale. Depuis le début de la production en 1993, ExxonMobil opère le plus important gisement de cet Etat du golfe de Guinée, Zafiro. Autrefois considéré comme un Etat voyou (« rogue state ») par les Etats-Unis au même titre que la Corée du Nord, le pétrole produit en quasi-totalité par des firmes américaines – Marathon, Noble Energy, Hess – a changé le statut de la Guinée équatoriale à Washington.
Sous l’administration de George W. Bush, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice – elle-même ex-Chevron – a qualifié en avril 2006 le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema « d’ami proche » des Etats-Unis. Ici encore, comme au Tchad, le pétrole a structuré les relations bilatérales avec Washington et la présence d’ExxonMobil sur un gisement depuis longtemps en perte de vitesse s’explique également par le souhait des Etats-Unis de conserver le leadership dans ce pays où le président est aux affaires depuis 1979. De plus, la localisation stratégique dans le golfe de Guinée de la Guinée équatoriale notamment sur les questions de renseignement liées à la piraterie est une donnée clé de la présence américaine.
Mozambique : la dernière obsession
ExxonMobil explore dans bien d’autres pays en Afrique comme en Tanzanie, au Liberia ou en Côte d’Ivoire. Cependant, la dernière cible de Rex Tillerson avant son départ a été le Mozambique. Du fait de ses gigantesques réserves en gaz situées au nord de ses eaux territoriales, Rex Tillerson s’est lui-même déplacé, fin juillet 2016, à Maputo afin de rencontrer le président Filipe Nyusi. ExxonMobil devrait prendre en 2017 un rôle central afin de développer les réserves en gaz découvertes par les Italiens d’ENI et les Américains d’Anadarko. Ce genre de décision d’implantation ne se fait pas à la légère, l’investissement étant étalé sur plusieurs décennies. ExxonMobil fait travailler chercheurs et spécialistes en risques politiques afin de prendre la décision d’investir dans un pays. Malgré les tensions entre la Renamo et le Frelimo (au pouvoir), ExxonMobil prend des risques là où la géologie lui dit d’aller et celle du Mozambique est actuellement la plus intéressante d’Afrique.
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