Attentats de novembre 2015 : « Le 13 novembre a une place à part dans l’histoire du terrorisme dans notre pays »
« Jamais avant le 13 novembre, on n’avait vu, dans un pays européen, d’attaques terroriste de cette nature », estime Marc Hecker, (1) directeur de la recherche à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Si ces attentats ont renforcé la logique d’une réponse militaire au terrorisme international, ce spécialiste estime qu’on ne peut pas faire de comparaison avec les attaques du 11 septembre.
Dans quel contexte les attentats du 13 novembre sont-ils survenus ? La crainte principale, alors, des responsables de l’anti-terrorisme n’était-elle pas justement celle d’une attaque coordonnée de Daech sur plusieurs sites ?
Marc Hecker : avant le 13 novembre, il y a eu une série d’attaques de nature diverse. On peut d’abord citer celle du Français Mehdi Nemmouche, auteur de la fusillade au musée juif de Bruxelles en mai 2014. Il s’agit là du premier attentat commis par un « revenant » de Syrie en Europe. Ensuite, il y a bien sûr les attentats de janvier 2015. Mais il faut rappeler que les frères Kouachi avaient revendiqué leurs actes au nom d’Al-Qaida. De son côté, Amedy Coulibaly avait affirmé agir au nom de l’État islamique. Mais il n’était pas allé en zone irako-syrienne et cette revendication avait probablement un caractère opportuniste. Il ne s’agissait pas d’un attentat préparé de longue date dans un sanctuaire de Daech.
Une stratégie de diversion ?
En avril 2015, il y a aussi eu le projet d’attentat contre une église de Villejuif par Sid Ahmed Ghlam qui, au final, a tué une femme (Aurélie Châtelain) dans son véhicule. Pendant l’été, il y a eu les attaques de Saint-Quentin Fallavier et du Thalys. Avant novembre 2015, la crainte d’un attentat multisites était certes une préoccupation importante. Mais à l’époque, on se focalisait aussi beaucoup sur ce risque d’actes apparemment isolés et menés par des individus semblant agir seuls. On avait du mal à savoir dans quelle mesure ils étaient téléguidés de l’extérieur. Et une des questions, encore présente aujourd’hui, est de savoir si ces attentats du printemps et de l’été 2015 ont été conduits de manière opportuniste par Daech. Ou s’il s’agissait d’une stratégie de diversion ou « d’écran de fumée », pour tenter de faire passer au second plan la menace d’une attaque très sophistiquée comme celle du 13 novembre. Peut-être que le procès, qui va démarrer à Paris, nous donnera des réponses.
Quelle place occupent ces attentats dans l’histoire du terrorisme en France. Sont-ils, comme le disent certains, l’équivalent pour la France de ce qu’ont été les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis ?
M.H. : Le 13 novembre a bien sûr une place à part dans l’histoire du terrorisme dans notre pays. D’abord parce qu’avec 130 morts, ces attentats ont été les plus meurtriers perpétrés en France. Ils ont traumatisé les victimes directes, mais au-delà, ils ont choqué et sidéré une grande partie de la nation. C’est aussi l’attentat le plus abouti et le plus « sophistiqué » que Daech ait perpétré dans un pays occidental. Jamais on n’avait vu, dans un pays européen, d’attaques de cette nature, menées par des commandos projetés de l’extérieur, utilisant des armes de guerre et des ceintures d’explosifs. Avec, en amont, une préparation longue et minutieuse et des réseaux organisés de longue date, activés depuis la Syrie. Ces attentats ont donc constitué un événement majeur.
Avec le 11 septembre, le terrorisme a changé de nature
Mais les comparaisons avec le 11 septembre ont des limites. Il y a une différence fondamentale entre des actions qui font 130 morts d’un côté et 3 000 de l’autre. Cette différence n’est pas que quantitative. Jusqu’au 11 septembre, on pensait que seul un État, doté de moyens militaires, pouvait conduire une attaque pouvant faire 3 000 morts et détruire des gratte-ciel. Or, Al-Qaida n’était pas un État. D’un seul coup, le terrorisme a changé de nature : il est devenu une menace stratégique et a même été perçu à l’époque comme une menace potentiellement existentielle pour la première puissance mondiale. C’est pour cela que George W. Bush a réagi en déclenchant la « guerre globale contre le terrorisme ».
Les attentats du 13 novembre n’ont-ils pas aussi poussé la France dans cette voie ? « La France est en guerre. Les actes commis vendredi à Paris et au Stade de France sont des actes de guerre », a ainsi déclaré François Hollande le 16 novembre 2015 devant le Congrès, à Versailles…
M.H. : En 2001, la France s’est engagée aux côtés des États-Unis dans la guerre en Afghanistan, tout en critiquant la notion de « guerre globale contre le terrorisme ». Puis la position française a fini par évoluer. D’abord en 2013, sur le terrain extérieur, avec le lancement de l’opération Serval au Mali. Puis sur le terrain intérieur, après les attentats de 2015. Le déclenchement de l’opération Sentinelle, après les attaques de janvier, a alors été un symbole de cette militarisation de la lutte contre le terrorisme. Et après le 13 novembre, cette rhétorique guerrière a pris encore plus d’ampleur.
Aux attentats du 13 novembre ont succédé des attentats qu’on peut qualifier de « low cost » avec des armes, plus rudimentaires et très faciles d’accès comme un couteau ou un hachoir… la menace terroriste n’a-t-elle pas changé de nature ?
M.H. : Après les attentats de 2015, une autre forme d’attentats a touché la France : les attaques dirigées depuis la zone syro-irakienne, mais perpétrées par des individus n’étant pas partis s’entraîner à l’étranger. Le cas le plus connu est celui du terroriste Rachid Kassim qui utilisait la messagerie chiffrée Telegram pour communiquer avec ses complices. Kassim est ainsi lié à l’attaque en juillet 2016 de l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, qui a vu la mort du père Hamel. Et aussi à l’attentat manqué de septembre 2016 à proximité de Notre-Dame de Paris.
Un « terrorisme d’inspiration »
Aujourd’hui les attaques relèvent essentiellement du « terrorisme d’inspiration ». Ces actes sont réalisés par des individus qui se sentent investis d’une mission après avoir consulté la propagande djihadiste sur Internet. Mais il n’y a pas nécessairement de commanditaire, ni de donneurs d’ordres extérieurs. Ses attaques sont généralement peu létales, mais à force de se répéter, elles peuvent avoir un impact délétère sur la société : c’est la stratégie dite des « mille entailles » qui vise à saigner progressivement le corps social ou à susciter des surréactions pouvant conduire à une escalade de la violence très dangereuse.
Lire l'interview sur le site de La Croix
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