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Armement nucléaire : « Le décalage entre le président Trump et son administration pourrait devenir préoccupant »

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  Le Point
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Loin de l'impétuosité de Trump, la « Nuclear Posture Review » du département de la Défense propose une vision plus classique des armes nucléaires. Chercheur au centre des études de sécurité de l'Ifri (Institut français des relations internationales), où il dirige le centre des études de sécurité et le programme Dissuasion et prolifération, Corentin Brustlein étudie notamment les postures nucléaires militaires et la politique de défense des Etats-Unis.

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Il est l'auteur de la récente étude La guerre nucléaire limitée : un renouveau stratégique américain. Le président Donald Trump ayant souvent fait état de sa vision personnelle des armes nucléaires et de leur utilisation, Corentin Brustlein apporte son éclairage en notant qu'elle est sensiblement différente des positions du Pentagone. Conclusion : restons calmes !
 

Le Point : La nouvelle Nuclear Posture Review américaine (NPR) est la première publiée par l'administration Trump. Que nous apprend-elle des options stratégiques du président américain ?
 

Corentin Brustlein : Un certain nombre de choses ont changé. Depuis un an, on a vu une équipe conservatrice reprendre les manettes, renouer avec une conception de la politique étrangère fondée sur la puissance militaire, reflétée par des slogans comme « Peace through strength » ou par les déclarations de Donald Trump sur l'outil militaire dont il souhaiterait disposer. Sur le fond, nombre de préférences exprimées dans la NPR ne sont pas radicalement nouvelles, mais la rhétorique présidentielle sur les armes nucléaires en change la coloration, en particulier par contraste avec Barack Obama.

Ce dernier avait exposé en 2010 l'ambition de réduire le rôle des armes nucléaires en mettant l'accent sur des capacités complémentaires, conventionnelles ou antimissiles, par exemple. Le discours sur les armes nucléaires est traditionnellement assez normé, loin des propos tenus par Trump invoquant le besoin pour les États-Unis de relancer une course aux armements et de posséder plus d'armes que n'importe quel autre pays. Le président tend à bousculer des codes qui avaient été établis en raison du caractère unique de l'arme nucléaire, là où son administration conserve une vision plus classique qu'elle exprime dans la NPR. Ce décalage entre le président et son administration pourrait être préoccupant pour la suite.

Quels points concrets choisiriez-vous pour illustrer cette distorsion ?
 

Ils ne manquent pas ! Le contraste entre le discours présidentiel sur la Russie et la façon dont la NPR la met en avant comme adversaire potentiel est net. C'est plus important encore en ce qui concerne le rôle des armes nucléaires dans la stratégie américaine. On se souvient des propos légers et provocateurs du président Trump sur la Corée du Nord, laissant planer la perspective d'options militaires (« fire and fury »), alors que la NPR réaffirme le lien fondamental entre la possession de l'arme nucléaire et la prévention des guerres. Le Pentagone rappelle le rôle avant tout politique de cette arme quand Donald Trump tend, au contraire, à brouiller le discours.

Une réflexion doctrinale sur la guerre nucléaire limitée a été entamée dès le président Obama. Mais pourquoi celui-ci est-il passé des positions très « désarmantes » de son discours de Prague à la mise à l'étude d'options de guerre nucléaire limitée ?
 

Au sein de l'administration Obama, dès l'origine, toutes les voix n'étaient pas en faveur du désarmement nucléaire. Les équipes de la Maison-Blanche étaient alignées sur les positions du président, de même qu'une partie du département d'État. De manière peu surprenante, le Pentagone demeurait réservé. La précédente Nuclear Posture Review de 2010 reflète cette tension entre, d'une part, les tenants d'une réduction du rôle du nucléaire et, d'autre part, les positions plus centristes, soucieuses de maintenir la crédibilité de la dissuasion élargie américaine. Les principales préoccupations de l'époque étaient le terrorisme nucléaire, puis les puissances régionales, la Corée du Nord, l'Iran, avec des capacités conventionnelles, chimiques, voire nucléaires ; c'était encore l'époque du « Reset » avec la Russie. En réponse à ces défis jugés prioritaires, la NPR 2010 mettait l'accent sur la non-prolifération et sur la dissuasion régionale, dans laquelle le rôle des capacités nucléaires était délibérément restreint. L'ambition d'Obama a perduré jusqu'au discours de Berlin en 2013, où il propose aux Russes d'entamer des discussions sur une réduction supplémentaire des arsenaux. Mais les événements survenus ensuite, l'annexion de la Crimée, l'intimidation stratégique russe, l'accélération des programmes nord-coréens, ont imposé un durcissement de la posture.
 

Les États-Unis reprennent aujourd'hui l'idée d'une guerre nucléaire limitée. Cela veut-il dire qu'ils pensent qu'on peut conduire des batailles avec l'arme nucléaire et les gagner, que le nucléaire n'est plus un « tout ou rien » ?

Ils n'en sont pas là, ce qu'on voit dans la NPR est une volonté de répondre au risque d'emploi limité de l'arme nucléaire, essentiellement par la Russie ou la Corée du Nord. On est loin de lire dans le document un retour des conceptions mises en avant à l'époque de Reagan et selon lesquelles on pourrait conduire et gagner une guerre nucléaire. Les États-Unis craignent qu'un adversaire ne se méprenne en pensant pouvoir les paralyser par une menace de frappe nucléaire limitée. Vu de Washington, l'un des moyens de prévenir ce risque est de développer de nouvelles capacités, en l'occurrence des missiles emportés par des sous-marins et équipés d'une tête nucléaire de puissance relativement faible. Ces options font défaut dans l'arsenal actuel et seraient moins vulnérables et moins contraignantes diplomatiquement que les options existantes, portées par l'aviation. Pour discutable qu'il puisse être, ce choix ne reflète pas un changement profond de logique, mais est là pour rappeler que les Américains ne seraient jamais démunis face à une attaque nucléaire ciblant leurs alliés.
 

Le passage de la Corée du Nord au statut d'État « doté » change-t-il profondément les choses ?

Aux États-Unis comme ailleurs, personne n'est prêt à accepter la Corée du Nord comme un État « doté ». Il ne serait pas acceptable qu'un pays ayant triché dans le cadre du traité de non-prolifération dont il était signataire se dote ensuite de l'arme nucléaire et obtienne au final une telle reconnaissance. Que sa dénucléarisation apparaisse improbable ne veut pas dire qu'il faille abandonner cet objectif sur le temps long. Il faut, en attendant, apprendre à gérer cette relation conflictuelle, rassurer les alliés sud-coréens et japonais abritant des bases américaines, mais aussi être attentif aux risques d'une escalade sur la péninsule, y compris accidentelle.

Du côté américain, en complément de la NPR, des évolutions dans le domaine de la défense antimissile sont attendues et une Ballistic Missile Defense Review est en finalisation. Jusqu'à début 2017, les États-Unis avaient pour politique de ne protéger leur territoire national que contre une frappe très limitée. Désormais, l'ambition officielle est de disposer d'une défense antimissile robuste, évolutive face à des menaces de plus en plus sophistiquées. Au regard du contexte, on peut s'attendre à un renforcement qualitatif et quantitatif des défenses face aux nouvelles capacités balistiques nord-coréennes, aux États-Unis et en Asie (THAADAegis). Mais le jeu n'est plus binaire, comme au temps de la guerre froide, et de tels développements pourraient encourager la Chine à renforcer son programme de modernisation nucléaire déjà très substantiel.

 

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Corentin BRUSTLEIN

Intitulé du poste

Ancien Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri