Armement : l'industrie française sur le pied de guerre
Un an après le discours volontariste du chef des armées Emmanuel Macron enjoignant aux industriels d’augmenter leurs cadences, la production reste modeste. La prochaine loi de programmation militaire ambitionne de changer la donne.
« Est-ce que chez Coca-Cola ils ont besoin de visibilité pour produire ? Non. Eh bien, avec ce qui se passe depuis un an, cela doit être pareil dans les usines d’armement ! ». La phrase, lâchée ce printemps à l’occasion d’un colloque par un représentant du ministère des Armées, en dit long sur le fossé qui sépare aujourd’hui ceux qui tiennent les armes de ceux qui les fabriquent. Souvent accusés par les pouvoirs publics de frilosité en matière d’investissements, les industriels du secteur de la défense se retrouvent en première ligne, médiatique et politique, depuis le début de la guerre en Ukraine. Et si ce petit monde habitué à la discrétion a compris que le conflit était parti pour durer, les mots prononcés le 13 juin 2022 par Emmanuel Macron au salon Eurosatory, devant le gratin de l’armement mondial, semblaient fixer un cap bénéfique, la France étant, selon le président, entrée en « économie de guerre ».
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Un missile nécessite d’assembler plus de 15.000 éléments
Au sein de la base industrielle et technologique de défense française (BITD), on martèle qu’augmenter la production nécessite de la visibilité, et donc des commandes qui viennent de l’Etat. « Un missile, ce sont 15.000 éléments. Un hélicoptère, c’est entre 30.000 et 40.000. Et un sous-marin, c’est 1 million de pièces. Le problème n’est pas tant les cadences que les composants », rappelle Renaud Bellais, codirecteur de l’Observatoire de la défense à la Fondation Jean-Jaurès.
Et pourtant, du côté des pouvoirs publics, on avance des chiffres inédits. Entre le premier et le dernier jour du double mandat d’Emmanuel Macron, le budget des armées aura bondi de plus de 50% ! Mais pour combien de nouveaux équipements ? L’actuelle loi de programmation militaire (LPM) prévoyait par exemple la livraison, d’ici 2030, de 300 blindés Jaguar et de 1972 Griffon, d’autres blindés. Or la nouvelle LPM (413 milliards d’euros alloués entre 2024 et 2030, soit 40% de plus que la précédente) ne table plus que sur 200 Jaguar et 1.345 Griffon.
Quand bien même les livraisons manquantes ne seraient pas annulées mais décalées entre 2030 et 2035, cela aurait malgré tout pour conséquence de déstabiliser la production.
« Dans l’armée de l’air aussi il y aura moins de Rafale livrés d’ici la fin de la décennie. Quant à la Marine, l’indispensable flotte de soutien n’aura pas été intégralement renouvelée d’ici 2030, et on ne disposera que de 15 frégates hétérogènes. C’est peu lorsqu’on se prétend une nation de la zone indopacifique », développe Léo Péria-Peigné, spécialiste des questions d’armement au sein de l’Ifri
Cette frilosité dans les commandes a suscité beaucoup de frustration chez les industriels, voire une pointe d’amertume. « Le discours de certains membres de l’exécutif qui consiste à dire que l’on n’est pas capable de produire plus est inaudible. Aux Etats-Unis, ils montent des budgets supplémentaires massifs. Idem en Allemagne avec leur plan à 100 milliards d’euros », déplore un de ces opérateurs.
Ce qui conduit certains experts comme Léo Péria-Peigné à affirmer que la nation subirait désormais la « loi d’Augustine », du nom d’un ancien sous-secrétaire d’Etat américain : elle produit des armements ultraperformants, mais trop chers pour être achetés en nombre suffisant, ce qui entraînerait une sorte de désarmement structurel. Imaginez un peu, le missile solaire Mistral, développé par MBDA, n’a pas été acheté par l’Etat depuis 2006 ! Seules les commandes internationales ont permis de conserver la ligne de production. Signalons toutefois une éclaircie : les industriels auraient obtenu des garanties de l’exécutif pour lever un certain nombre de contraintes normatives ou administratives.
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