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Armée : « L'Allemagne ne considère plus la France comme son premier partenaire militaire en Europe »

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interviewé par

  Amaury Coutansais-Pervinquière
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Berlin a créé un fonds de 100 milliards d’euros pour se réarmer à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. L’Allemagne s’éloigne progressivement de la France, analyse le chercheur Léo Péria-Peigné. Léo Péria-Peigné est chercheur au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI), et spécialiste des armements. Il publie, avec Elie Tenebaum, une note intitulée « Zeitenwende : la Bundeswehr face au changement d’ère ».

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LE FIGARO.- En Allemagne, les questions militaires étaient abordées frileusement jusqu’à l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022. Olaf Scholz, le chancelier allemand, a sonné dans un discours du 27 février 2022 un «changement d'ère » (le Zeitenwende ), qui a abouti à la création d’un fonds spécial, le Sondervermögen , qui sera abondé à hauteur de 100 milliards d’euros. Comment ce changement de mentalité s'est-il opéré ?

Léo PÉRIA-PEIGNÉ.- Le budget de défense allemand atteignait un niveau historiquement bas, mais, déjà, l'annexion de la Crimée en 2014 a redonné une impulsion à la hausse. Les Allemands ont pris conscience que la Russie n'était pas le partenaire qu’ils s'imaginaient depuis vingt ans. Faute de consensus politique et de perception d’une menace, cette dynamique est restée limitée, mais la restauration de la Bundeswehr était déjà dans les plans de la coalition arrivée au pouvoir fin 2021.

L'agression russe, le 24 février 2022, a créé une impulsion très forte, en suscitant des craintes importantes au sein de la population. Elle a rendu acceptable le principe des 100 milliards d'euros dédiés au Zeitenwende. Tout n'est donc pas issu du conflit ukrainien de 2022, qui a surtout accéléré un mouvement présent depuis près de 10 ans, en lui donnant la légitimité politique nécessaire.

Ce fonds spécial doit aboutir à l'armement complet de trois divisions. Vous écrivez que «l'état de la Bundeswehr était considéré comme alarmant, l'augmentation de ses budgets à partir de 2014 n'ayant fait qu'adoucir la pente sur laquelle elle se trouvait ». Quelles sont les priorités du réarmement allemand ?

Alors que l'armée allemande pouvait se considérer comme «à sec», de l'aveu même de ses chefs, les 100 milliards seront exclusivement consacrés à faire fonctionner le matériel existant et à en acquérir de nouveaux. Une part importante est ainsi dédiée à l'acquisition de chasseurs F-35 américains, seuls habilités à porter les armes nucléaires de l'Otan dont est équipée l'Allemagne. La marine allemande se lance dans un grand programme de drones navals, sous-marins et de surface, tout en se concentrant sur la région de la mer Baltique.


Une part importante est ainsi dédiée à l'acquisition de chasseurs F-35 américains, seuls habilités à porter les armes nucléaires de l'OTAN dont est équipée l'Allemagne, Léo Péria-ëigné


La Heer, l'armée de terre allemande, cherche de son côté à disposer d'un corps d'armée crédible. Il serait composé de trois divisions, chacune dotées des capacités dont elles avaient été privées au fur et à mesure des réductions de budget depuis 1990, en particulier des compagnies de soutien (reconnaissance, ciblage, défense sol air) et une artillerie divisionnaire crédible. Pour l’heure, ces capacités reposent souvent sur des unités uniques, écartelées à l'échelle de l'armée entière. Une situation d'ailleurs sensiblement similaire à celle de la France.

Vous soulignez, comme en France mais à des degrés divers, un problème de recrutement et de fidélisation des militaires allemands. Pourquoi ?

Longtemps, les armées françaises pouvaient se satisfaire d'un niveau de recrutement et de fidélisation supérieur à celui des armées allemandes, qui cumulent vieillissement de la population, attractivité supérieure du marché de l'emploi civil et relation difficile aux métiers militaires. Il s'avère cependant que cet écart se réduit, les armées françaises reconnaissant subir ce type de problèmes.

Si la situation démographique allemande reste bien plus difficile que la nôtre, l'attractivité des armées française reste en particulier plombée par l'opération Sentinelle, qui agit comme un véritable repoussoir, que la perspective d'une OPEX ne suffit plus à compenser.

L'Allemagne considère surtout son armée comme «une nation cadre », dites-vous. C'est-à-dire ? En quoi est-ce différent de la conception française ?

À partir de 2014, l'Allemagne a développé un concept de «Nation Cadre» au sein de l'Otan. Elle destine son armée à devenir un intégrateur pour des forces de pays européens plus modestes. Pour ce faire, elle se dote de capacités de commandement, de communication et de coordination très importants. Ce processus est aujourd'hui très avancé avec les Pays-Bas, dont les trois brigades sont totalement intégrées dans les trois divisions allemandes. D'autres nations comme la Hongrie ou la Lituanie seraient en voie d'intégration au moins partielle à ce dispositif.

Alors que la France avait, la première, développé le concept, elle ne l'a jamais réellement appliqué. Si des pistes existent pour faire émerger un dispositif similaire avec la Belgique et le Luxembourg, il faudra du temps pour atteindre un niveau similaire à celui atteint par l'Allemagne et les Pays-Bas.


Les difficultés de la relation franco-allemande sont souvent justifiées par une différence de culture stratégique., Léo Péria-Peigné.


Les difficultés de la relation franco-allemande sont souvent expliquées par une différence de culture stratégique. L'Allemagne aurait une vision plutôt continentale, intégrée à l'Otan, d'armée de dissuasion conventionnelle face à la menace russe. La France, en revanche, serait une «armée d'emploi», plus expéditionnaire, et destinée à se déployer à l'étranger pour y combattre. De plus, elle garde une position toujours ambiguë vis-à-vis de l'Otan. Si ces différences de culture stratégique conditionnent la bonne marche d'une relation, alors la France restera isolée en Europe. La plupart des États européens ont une conception bien plus compatible avec le modèle proposé par l'Allemagne que le nôtre, d'autant que Berlin s'est mis en ordre de bataille depuis bientôt dix ans pour en faire la promotion.

«La France n'apparaît plus aujourd'hui pour la communauté de défense en Allemagne que comme un partenaire dont l'importance est en recul », écrivez-vous. Comment la France envisage-t-elle ce relâchement des liens ?

Si la France considère toujours l'Allemagne comme son premier partenaire militaire en Europe, l'inverse n'est plus vrai. Le premier partenaire militaire allemand en Europe sont les Pays-Bas. Les structures de coopération militaires qui avaient été créées sont pour la plupart tombées en désuétude : la brigade franco-allemande est vidée de sa substance au moins depuis la fin de la colocalisation des unités françaises et allemandes, et la coopération entre nos marines s'est considérablement réduite. Seules les armées de l'air maintiennent des structures d'entraînement communes fonctionnelles.

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