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Arabie saoudite : "La France est inquiète de la politique impulsive de Mohammed Ben Salmane"

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interviewé par Virginie Ziliani pour

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Le prince héritier d'Arabie saoudite est en France pour deux jours. Il poursuit son opération séduction à l'international. Après plusieurs semaines passées au Royaume-Uni puis aux Etats-Unis, Mohammed ben Salmane arrive pour une visite de deux jours à Paris, ce lundi 9 avril, le temps de rencontrer Emmanuel Macron.

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Si celui que l'on surnomme "MBS" multiplie les visites diplomatiques auprès des leaders du monde entier, ce n'est pas sans arrière-pensée. Le message est clair : le nouvel homme fort de Riyad veut réhabiliter l'image de l'Arabie Saoudite pour en faire un allié privilégié des puissances occidentales. La France compte bien, elle aussi, profiter de la visite éphémère du prince héritier pour faire fructifier leurs échanges économiques. 

Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l'Ifri (l'Institut français des relations internationales), décrypte pour "l'Obs", les enjeux diplomatiques de la transformation qu'opère le jeune prince, âgé de 32 ans, dans son pays.


Quels sont les enjeux de la rencontre entre Emmanuel Macron et "MBS" ?

Il y a trois enjeux pour la France : d'abord, il s'agit pour Macron de nouer des relations de confiance. Depuis l'arrivée au pouvoir du nouvel homme fort de l'Arabie Saoudite, les liens se sont distendus, parce que c'est un homme neuf, que nos cadres dirigeants ne connaissent pas. Même si, depuis 1960, l'Hexagone a instauré une relation privilégiée avec l'Arabie saoudite. D'ailleurs, en 1979, Valéry Giscard d'Estaing avait envoyé le GIGN à la demande de Riyad pour l'aider dans le cadre de l'attaque de la Grande Mosquée de La Mecque.

Le deuxième enjeu est d'avoir une meilleure concertation sur la situation au Moyen-Orient. La France est inquiète de la politique internationale impulsive de "MBS". L'Europe tient à l'accord sur le nucléaire iranien, alors que l'Arabie saoudite veut contribuer à y mettre fin. Puis, il y a la question du Qatar qui entretient des relations étroites avec la France : l'année dernière, l'Arabie saoudite avait organisé un embargo contre le petit Etat gazier. En outre, plusieurs ONG ont appelé Emmanuel Macron à faire pression sur le dirigeant saoudien pour mettre fin à l'intervention au Yémen, qui est un désastre humanitaire dénoncé par l'ONU. 

Enfin, il y a les relations économiques entre les deux pays. Selon les années, l'Arabie saoudite est le premier ou le deuxième client de la France en matière d'armement.   

 

Le prince héritier a annoncé récemment un certain nombre de réformes importantes dans son pays. Pourquoi maintenant ?

Effectivement, il s'est engagé dans une politique de réformes économiques et sociétales très ambitieuse. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une société encore très conservatrice, où les religieux regardent avec méfiance ces changements. Mais il y a notamment une pression de la part de la jeunesse : les deux tiers de la population saoudienne ont moins de 30 ans. Ils sont même plus connectés que les Français, ils savent ce qu'il se passe à l'étranger.

 

Parmi eux, 200.000 Saoudiens partent étudier au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Lorsqu'ils reviennent, ils se rendent compte de la société fermée dans laquelle ils évoluent. En outre, derrière l'autorisation de conduire pour les femmes, ou encore celle d'ouvrir un compte bancaire sans la permission de leur conjoint, il y a aussi des préoccupations économiques. Le pouvoir en place veut inciter les femmes à travailler parce qu'un seul salaire dans un foyer est difficile pour le niveau de vie des Saoudiens.

En termes économiques, son plan "Vision 2030" visant à diversifier son économie est davantage un instrument de communication qu'une véritable réforme. Il demande beaucoup de temps d'autant plus que l'administration saoudienne est faible : il n'y a pas tellement de technocratie, contrairement à un certain nombre de pays.

 

Quels buts diplomatiques se cachent derrière ces changements historiques ?

La préoccupation de "MBS" est surtout de redorer son image auprès de l'opinion publique américaine, qui n'est pas favorable à l'Arabie saoudite depuis les attentats du 11 septembre 2001. A la suite de ces événements, les législateurs ont d'ailleurs souhaité permettre aux proches des victimes de poursuivre en justice les Etats étrangers ayant fourni un soutien direct ou indirect à des organisations étrangères impliquées dans des activités terroristes contre les Etats-Unis.

Le projet de loi JASTA (Justice Against Sponsors of Terrorism Act) a ainsi été approuvé par le Congrès en 2016… et Obama y a mis son veto, qu'il s'est vu refuser. Cette loi visait très clairement l'Arabie saoudite, puisque parmi les 19 responsables des attentats, 15 étaient des ressortissants du pays. Il y a plusieurs instances en cours mais le gouvernement américain essaye d'en limiter les effets pour maintenir ses relations privilégiées avec le pays.

 

Il a récemment acté publiquement son rapprochement avec Israël…

C'est un rapprochement que l'on voyait venir depuis une dizaine d'années, notamment entre les services de renseignement. Le fait de le rendre publique permet à Mohammed ben Salmane d'instaurer une forme de pression envers l'Iran : cela répond à une volonté pour les deux pays de contrer ce qu'ils appellent "une menace existentielle" contre leur sécurité. Leur point commun, c'est l'Iran, puisqu'en vérité, Israël et l'Arabie saoudite sont très différents. Le wahhabisme, la religion officielle de Riyad, est très antisémite. Par exemple, dans les manuels scolaires saoudiens, il y a des appréciations hostiles au peuple juif : ils sont certes en cours de réformes, mais pas encore réformés…

 

Symboliquement, que représente la tournée internationale de Mohammed ben Salmane ?

La France est la deuxième étape en Europe pour "MBS". Il veut différencier ses interlocuteurs, même si la relation qu'il entretient avec les Etats-Unis est prioritaire. Récemment, le roi Salmane s'est rendu en Russie et la relation du pays avec la Chine s'est développée. L'expérience prouve que l'allié américain n'est pas toujours stable, qu'il s'agisse du shah d'Iran ou d'Hosni Moubarak en Egypte.

Propos recueillis par Virginie Ziliani

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Denis BAUCHARD

Intitulé du poste

Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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