Allemagne : négociations, accord, défis… Ce que l’on sait du retour de la « grande coalition »
Un mois et demi après les élections législatives outre-Rhin, le probable futur chancelier Friedrich Merz, leader des conservateurs de la CDU, a annoncé mercredi un « deal » avec son allié bavarois de la CSU et les sociaux-démocrates.
Friedrich Merz l’avait promis. Au lendemain de la victoire des chrétiens-démocrates (CDU) aux élections législatives du 23 février, le leader conservateur assurait qu’il souhaitait « agir vite », espérant être en mesure de former un gouvernement avant Pâques. Pari tenu donc, puisque le probable futur chancelier a annoncé mercredi 9 avril que la CDU et son allié bavarois de la CSU avaient trouvé un accord de coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) pour un exécutif attendu début mai. Pour la cinquième fois de son histoire au niveau fédéral, l’Allemagne se dote d’une « Große Koalition » (ou « GroKo ») rassemblant les deux principales forces politiques du pays.
Cette fois, il n’était pas question de prendre son temps comme en 2017 où les négociations, qui avaient débouché sur le quatrième mandat d’Angela Merkel, avaient duré près de cinq mois. Enlisée dans un contexte international rude avec le retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, une récession économique pour la deuxième année consécutive, une succession d’attaques au couteau et à la voiture bélier profitant à une extrême droite toujours plus haute, l’Allemagne était redevenue pour beaucoup l’homme malade de l’Europe. Friedrich Merz, lui, le jure : son pays « est de retour sur la bonne voie ».
[...]
Une petite révolution pour un pays très attaché à l’orthodoxie budgétaire, dont la CDU – et particulièrement Friedrich Merz pendant sa campagne – était l’un des plus fervents défenseurs. Selon le baromètre de la chaîne de télévision ZDF, 73 % des Allemands et 44 % des électeurs de la CDU/CSU estimaient que le futur chancelier les avait trompés sur la question de la dette.
Texte citation
« La base de l’électorat conservateur, notamment les jeunes, est très critique. Certains parlaient même de “trahison” », souligne Jeanette Süẞ, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Certains électeurs remettent aussi en cause le talent de négociateur de Friedrich Merz, qui aurait accepté bien trop tôt les demandes du SPD dans les pourparlers, le privant de toute marge de manœuvre.

Chercheuse, Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Ifri
Un alliage « relativement équilibré »
Long de plus de 140 pages, le texte de l’accord de coalition confirme bien l’augmentation des dépenses de défense et le fond spécial de 500 milliards, ainsi qu’un « soutien complet » à l’Ukraine, militairement comme diplomatiquement. L’impact du SPD dans les pourparlers se mesure donc au niveau économique, mais aussi sur l’aspect budgétaire, ainsi que sur une hausse de salaire de 5,8 % pour les fonctionnaires.
Mais la patte des conservateurs ressort sur plusieurs mesures comme la suppression de 8 % des postes dans l’administration fédérale, une réduction de 25 % des coûts de la bureaucratie, la réduction progressive de l’impôt sur les sociétés de cinq points à partir de 2028 et des exonérations de taxes pour les voitures électriques.
- Un alliage qui donne un ensemble « relativement équilibré, sobre et réconciliant », juge Jeanette Süẞ. Selon la chercheuse, les deux partenaires de coalition ont su maintenir leurs positions, « même s’ils ont bien pris soin de ne pas faire émerger de vainqueur clair pour instaurer une relation saine ».
Sur l’immigration, devenue le sujet majeur de la campagne, l’accord annonce un « durcissement », qui s’incarne par un maintien du contrôle aux frontières, la suspension du regroupement familial pour les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire et la suppression de la possibilité d’être naturalisé au bout de trois ans en Allemagne pour « une personne exceptionnellement bien intégrée », une mesure décidée par le précédent gouvernement d’Olaf Scholz. Le SPD a obtenu la mention, dans le contrat de coalition, que l’Allemagne reste un « pays ouvert » tout en conservant le droit d’asile qui était remis en question par les conservateurs.
Cet équilibre se traduit dans la répartition des portefeuilles. Le bloc CDU/CSU obtient neuf ministères (Intérieur, Economie, Affaires étrangères, Transports, Santé, Agriculture, Education et Famille, Recherche et Espace, Numérique). Petite curiosité, la diplomatie, traditionnellement réservée au partenaire mineur de la coalition, revient à la CDU pour la première fois depuis soixante ans.
- « Certainement pour avoir la main plus solide dans un contexte particulier », commente l’experte de l’Ifri.
Les sociaux-démocrates obtiennent les Finances, plus stratégiques, ainsi que la Justice, les Affaires sociales, la Défense, l’Environnement, le Développement et le Logement. Le SPD peut donc se targuer d’avoir sept portefeuilles, un de plus qu’en 2021. « Ce n’est pas rien pour un parti qui a enregistré le pire score de son histoire depuis 1945 », rappelle Jeanette Süẞ.
Reste encore à savoir qui seront les visages de ce gouvernement, même si certaines personnalités comme Boris Pistorius (ancien ministre de la Défense sous Scholz, qui devrait rempiler), Lars Klingbeil (nouveau chef de file du SPD, pressenti aux Finances) ou Johann Wadephul (un conservateur favorable à l’aide militaire en Ukraine, favori pour les Affaires étrangères) sont régulièrement citées.
>> >> Cet article est publié dans Le Nouvel Obs.
Média

Journaliste(s):
Format
Partager