2017 : une année empreinte d’incertitudes pour l’industrie pétrolière et gazière
Aléas géopolitiques, solidité de l’accord OPEP-non OPEP sur la réduction de la production de pétrole, réaction des producteurs de pétrole de schiste aux États‑Unis, abondance de l’offre et prix bas du gaz, transition vers une économie bas-carbone… L’année 2017 s’ouvre sur de nombreuses incertitudes pour l’industrie du pétrole et du gaz, comme l’explique Marie-Claire Aoun, directrice du Centre Énergie de l’IFRI, qui ouvre le dossier Perspectives 2017 du BIP.
Au lendemain de la signature de l’Accord de Paris sur le climat et avec la levée des sanctions contre l’Iran, l’année 2016 aura marqué un tournant dans les perspectives énergétiques mondiales. L’année a été également caractérisée par une dynamique bien installée de faibles prix pétroliers et gaziers et des énergies renouvelables plus compétitives. 2016 restera aussi l’année des révolutions politiques, avec l’élection de Donald Trump aux États-Unis, et le vote des Britanniques en faveur du Brexit, deux chocs imprévus qui ne manqueront pas de troubler les marchés énergétiques en 2017.
Incertitude sur le respect de l’accord OPEP-non OPEP
Sur le marché pétrolier, l’année 2016 a débuté avec un prix du baril à 30 dollars, au même niveau que celui de 2004. L’augmentation des cours observée ensuite était principalement liée à l’élimination de la production de quelques unités couteuses. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) s’est avérée bien impuissante à maîtriser le repli des prix du brut jusqu’au 28 septembre 2016, avec l’accord d’Alger confirmé deux mois plus tard par l’accord de Vienne du 30 novembre, déclinant des objectifs de production par pays sur les six premiers mois de 2017. Attendu depuis plus de deux ans, cet accord est intervenu en fin d’année, alors que le rééquilibrage de l’offre et de la demande de pétrole est prévu par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et l’OPEP pour la fin 2017-début 2018. L’effort à consentir par cette dernière pour réduire sa production de brut de 1,2 million de barils par jour sera donc limité dans le temps et vise essentiellement à accélérer l’équilibre du marché.
Le concours de onze pays non membres de l’OPEP à cette action de baisse de la production, la Russie en chef de file, témoigne de la nécessité pour les pays pétroliers de renouer rapidement avec des niveaux de prix soutenables pour leurs économies, la plupart étant en proie à des crises économiques et sociales sans précédent. Si les négociateurs de l’OPEP ont pris soin de satisfaire les exigences de l’Arabie saoudite - en lui préservant un niveau de production supérieur à 10 millions de barils par jour - et de l’Iran, de la Libye et du Nigeria - en les libérant d’objectifs de baisse de production -, la mise en œuvre de l’accord en 2017 ne sera pas chose aisée, notamment quant au respect des quotas de production attribués à chaque pays. Ainsi, l’annonce récente de la Libye de porter sa production à 775 000 barils par jour dès janvier 2017 fait-elle déjà craindre une fragilisation de l’accord.
Incertitude sur la production américaine de pétrole de schiste
Le marché pétrolier va devoir composer avec une autre incertitude de taille qui risquerait de rendre l’opération commune des 25 pays producteurs OPEP et non-OPEP bien vaine. La réaction des producteurs de pétrole de schiste, à l’origine même de la baisse des cours, sera décisive en 2017. Grâce au rebond des prix observé ces derniers mois, le nombre d’appareils de forage est remonté fortement en décembre, principalement dans le bassin Permien, pour atteindre le niveau le plus élevé depuis janvier 2016. En s’engageant sur une action sur six mois seulement, les pays pétroliers espèrent freiner les velléités d’investissement des producteurs américains et leur ôter toute visibilité sur le marché au second semestre de 2017. Cependant, l’industrie des pétroles de schiste n’a cessé ces dernières années de surprendre le marché par sa forte réactivité et sa résilience, et elle sera sans doute confortée par l’entrée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier.
Incertitudes géopolitiques
L’équation pétrolière de 2017 sera aussi déterminée par des variables clés telles que la progression de la demande, qui dépendra des perspectives de croissance économique mondiale ainsi que les stocks pétroliers qui restent à des niveaux très élevés, en dépit d’une baisse depuis juillet. Par ailleurs, après deux ans d’effondrement sans précédent des investissements dans les projets d’exploration-production conventionnels, l’évolution des dépenses en capex des compagnies pétrolières sera essentielle pour l’équilibre du marché à moyen terme. Selon les chiffres de Wood Mackenzie, le report des projets pétroliers depuis 2014 se traduirait par une perte de 4 millions de barils par jour en 2021, soit 4 % de la production mondiale.
Enfin, nul ne saurait ignorer la portée géopolitique de ce nouvel accord entre les pays producteurs. L’Arabie saoudite, la Russie et l’Iran, trois puissances éminentes sur le plan pétrolier avec plus de 25 % de la production mondiale, ont réussi à sceller cette entente unique, malgré un contexte de tensions vives au Moyen‑Orient, avec l’intervention de la Russie en Syrie et son alliance avec l’Iran. Auparavant peu enclin à participer à un effort collectif de réduction de la production, le président Poutine a plaidé en faveur de cet accord lors de sa rencontre avec le vice‑prince héritier d’Arabie saoudite début septembre et son échange avec le président iranien Hassan Rohani, la veille de la conférence de Vienne. L’évolution de la situation géopolitique au Moyen‑Orient sera certainement structurante pour le marché pétrolier en 2017 et la coopération des pays producteurs.
L’Europe divisée face à Gazprom
Le marché gazier mondial est entré, lui aussi, dans une ère conjuguant abondance de l’offre et prix bas, en particulier avec la mise en service progressive de nouvelles capacités de liquéfaction aux États-Unis et en Australie. Les exportateurs traditionnels de gaz naturel, tels que le Qatar et la Russie, vont devoir poursuivre le déploiement de leurs stratégies d’adaptation face à ce contexte nouveau. En Europe, le géant russe renforce ses positions et défend ses parts de marché, stratégie qui s’est avérée gagnante en 2016, avec des exportations de gaz russe vers l’Europe qui ont atteint un niveau record. De même, les querelles juridiques opposant Gazprom à Bruxelles depuis de très longues années semblent en voie d’apaisement. Gazprom se plie désormais aux règles européennes du marché intérieur (vente aux enchères et indexation accrue sur les prix de marché européens). De son côté, la Commission européenne semble infléchir sa position, en concédant enfin à Gazprom en octobre dernier le droit d’une utilisation presque complète d’OPAL, prolongement du gazoduc Nord Stream de l’Allemagne vers la République tchèque.
De même, les discussions se poursuivent pour le règlement à l’amiable de l’affaire antitrust lancée en 2011. Gazprom maintient en parallèle sa stratégie d’extension de ses gazoducs vers l’Europe pour s’affranchir du transit ukrainien, notamment avec le Nord Stream 2. Plusieurs pays européens, dont la Pologne, restent résolument hostiles à ce projet et entendent bien utiliser tous les moyens pour que Nord Stream 2 ne voie jamais le jour. L’Europe devra d’ailleurs relever un défi de taille en 2017 : s’accorder sur une position commune face au géant russe. Or on sait les difficultés de l’UE à construire une politique énergétique commune, difficultés qui seront sans doute exacerbées par les échéances électorales en 2017 en France et en Allemagne, la sortie du Royaume‑Uni de l’UE et l’émergence attendue d’un nouveau rapport de forces entre les pays membres de l’Union. Enfin, à l’instar du marché pétrolier, les soubresauts géopolitiques ne cesseront d’affecter les affaires gazières en 2017, en particulier le projet TurkStream, tant les relations russo-turques restent fluctuantes sur le plan politique, malgré l’entente actuelle sur la Syrie.
Accompagner la transition vers une économie bas-carbone
Au-delà de ces défis immédiats, les industries pétrolière et gazière vont devoir poursuivre leur adaptation pour accompagner la transition vers une économie bas-carbone. La menace d’actifs échoués plane aujourd’hui sur l’industrie charbonnière, avec des décisions nationales de plus en plus nombreuses de limiter les activités les plus émettrices de CO2, comme celle de la Chine de plafonner sa consommation de charbon en 2020 ou, encore plus récemment, celle du Canada d’évincer le charbon de sa production électrique d’ici à 2030. Plusieurs compagnies pétrolières internationales ont dévoilé en 2016 de nouvelles stratégies de long terme pour s’adapter au changement, en misant davantage sur les technologies propres et en se focalisant sur les projets pétroliers à moindre coût. On observera de près en 2017 les décisions des compagnies nationales qui devront, elles aussi, opérer une révolution radicale et nécessaire pour la pérennité de leurs économies. L’heure sera aussi à la mise en œuvre du plan de transformation 2030 annoncé en grande pompe par l’Arabie saoudite, et le marché pétrolier retiendra son souffle avant la concrétisation de l’entrée en bourse prévue en 2018 de Saudi Aramco.
Sur le long terme aussi, le gaz sera, quant à lui, appelé à jouer un rôle essentiel dans la transition énergétique et à détrôner enfin le charbon, si l’on suit les prévisions récentes de l’AIE. Cependant, de nombreux gouvernements peinent encore à prendre le virage gazier pour accompagner le déploiement des énergies renouvelables car aux freins économiques (faiblesse du prix du carbone, compétitivité accrue du charbon et coûts élevés des infrastructures nécessaires pour les importations gazières) s’ajoutent des préoccupations de sécurité d’approvisionnement.
L’industrie pétrolière et gazière européenne devra donc jongler avec de nombreux facteurs de perturbation en 2017 : solidité de l’accord de l’OPEP, nouveau chapitre énergétique et climatique ouvert par la présidence Trump, Brexit, situation au Moyen-Orient, rôle clé de la Russie etc. L’équation énergétique en 2017 sera empreinte d’incertitudes et plus que jamais subordonnée aux aléas géopolitiques.
Marie-Claire Aoun est directrice du Centre Énergie de l'Ifri
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