Consacré aux représentations de l'espace extra-atmosphérique dans les sociétés contemporaines, ce numéro de la revue Hermès explore trois thèmes successifs :

-  les représentations imaginaires de l'espace sont très importantes depuis l'antiquité. Allant des conceptions du cosmos, de l'extension à l'espace des représentations territoriales terrestres, aux films de science-fiction du XXe siècle, ce chapitre aborde un terrain de recherche riche et original. Il montre comment les conceptions initiales de l'espace ont partiellement modelé les débuts de la conquête spatiale, puis, comment les représentations actuelles, parfois fantaisistes du point de vue scientifique, restent chargées de sens. Si le mystérieux film de Kubrick, 2001, l'Odyssée de l'espace, nous renvoie à des interrogations métaphysiques, les films hollywoodiens récents mettent en forme une vision de la société américaine par elle-même;

-  le deuxième thème abordé est au plus proche des ambitions de Dominique Wolton. La revue Hermès, qu'il dirige, est consacrée aux études interdisciplinaires de communication. Le chapitre s'attache à identifier les messages de nature politique que la conquête spatiale sert à faire passer auprès des opinions publiques nationales et étrangères. Les articles successifs passent en revue chaque puissance spatiale, explorant les motivations politiques de leur démarche spatiale. Pour les Etats-Unis, la Russie, l'Europe et la Chine, l'espace est mis au service d'ambitions militaires et économiques, d'une quête de prestige et de l'affirmation de la souveraineté nationale, à l'initiative des gouvernements. Même l'Egypte, abordée à titre d'exemple de nation en marge de la puissance spatiale, cherche à bénéficier de l'image de compétence technologique apportée par l'espace, avec l'achat et l'exploitation de deux satellites de télécommunications. A contrario, l'effort spatial est un problème pour le Japon. Ce pays ne pouvant développer une politique de puissance sur la scène internationale, sa motivation spatiale tend à stagner;

- enfin, le thème des représentations politiques se poursuit avec l'inventaire des différentes applications terrestres de l'espace: les satellites vus par les programmes scolaires, le vol habité vu par la télévision, les applications militaires, la météorologie et les télécommunications. Les problématiques liées à ces applications participent de préoccupations terrestres, politiques ou économiques qui ont peu à voir avec les questions spatiales elles-mêmes. Souvent la motivation politique initiale se transforme pendant la longue vie du programme spatial qu'elle a enclenché, ce qui pose des problèmes de cohérence. Ainsi, dans le dernier texte présenté, Xavier Pasco examine le manque de raison d'être des grands programmes de la Nasa depuis les années 1970, et la nécessité de les situer dans une vision politique qui fonctionne.

Au-delà des trois thèmes retenus, chaque article nous emmène dans un sujet original et qui se suffit à lui-même pour un tour d'horizon global très intéressant. Mais surtout, ce numéro contribue à faire connaître les enjeux de l'espace sous l'angle des sciences humaines. Le discours sur l'espace reste le plus souvent du domaine de la très haute technologie. Lorsqu'il n'est pas simplement indifférent au thème de l'espace, le grand public s'en fait une représentation relevant de l'imaginaire. Or, l'espace est investi de représentations qui n'ont que peu à voir avec la technologie ou le cinéma. Les différents programmes d'application, par exemple, sont bel et bien traversés d'arrière-pensées politiques. L'approche interdisciplinaire de la revue, qui fait appel à la philosophie, à la science politique, à la sociologie ou aux relations internationales, est donc particulièrement bienvenue. Placé sous ces différents éclairages, l'inventaire attendu des acteurs spatiaux et des applications prend ici un grand intérêt.