La diplomatie économique du Japon en Afrique : un bilan de l'ère Abe, entre priorités stratégiques et réalités de terrain
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Durant son mandat (2012-2020), le Premier ministre Shinzo Abe s’est évertué à démontrer le fort intérêt du Japon pour l’Afrique, s’engageant notamment sur un soutien financier d’un total de 60 milliards de dollars lors des sommets de la Tokyo International Conference on African Development (TICAD) en 2013 et 2016 et dévoilant sa vision pour « un Indo-Pacifique libre et ouvert » (Free and Open Indo-Pacific – FOIP) lors de la TICAD VI à Nairobi. Pour autant, Shinzo Abe n’entretient pas avec l’Afrique de lien particulier. Il a simplement décliné les priorités stratégiques fixées pour son gouvernement dans le cadre de sa politique africaine.
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Il s’agissait d’abord de redynamiser l’économie du Japon, par la recherche de leviers de croissance à l’international : l’Afrique est en 2013 un continent en pleine expansion économique. La priorité est d’y mobiliser massivement les investissements privés et de rattraper le retard du Japon sur le marché africain, face aux autres acteurs asiatiques et occidentaux. Tokyo a donc cherché à passer d’une politique centrée sur l’aide publique au développement (APD), dont le budget ne cesse de se contracter, à une approche basée sur les investissements privés, à travers une série de mesures incitatives déployées dans le cadre de sa diplomatie économique.
Shinzo Abe a également souhaité marquer le retour du Japon sur la scène internationale, via un fort activisme diplomatique. Or, la rivalité systémique avec la Chine, qui s’exacerbe après 2012 devient un facteur structurant de sa politique étrangère. Pékin est le premier partenaire commercial de l’Afrique depuis 2009 et son influence politique sur le continent s’étend à mesure qu’il déroule ses Nouvelles routes de la soie dès 2013. Dans ce contexte, le Japon cherche à regagner du terrain face à la Chine en proposant une alternative, notamment à travers sa vision pour « un Indo-Pacifique libre et ouvert ».
En 2020, les objectifs de Tokyo en termes d’investissements en Afrique ne semblent toutefois pas avoir été tenus et on observe un écart important entre le discours politique et la réalité du terrain. Bien que des progrès soient enregistrés, les entreprises japonaises restent très réticentes à investir sur un continent dont elles connaissent mal les problématiques et qui leur semble lointain et dangereux. L’approche quelque peu dirigiste du gouvernement à l’égard des entreprises semble donc trouver ses limites sur le terrain africain. Dans ces conditions, le discours sur la rivalité avec la Chine semble également difficile à incarner.
Le sommet de la TICAD VII (2019), en mettant en évidence les difficultés du gouvernement japonais à mobiliser un grand volume d’investissements privés en Afrique sur une période courte, pourrait marquer la fin d’un cycle. La déclinaison sur le terrain africain de la stratégie gouvernementale en matière de diplomatie économique (dans ses dimensions commerciales et géopolitiques) d’abord destinée à l’Asie, a donc montré ses limites. En particulier, le discours politique a eu tendance à placer la coopération nippo-africaine dans le cadre de la rivalité stratégique entre le Japon et la Chine, qui n’est pas de même nature en Afrique qu’en Asie. Ce discours a créé des attentes et a déformé la réalité de la coopération japonaise en Afrique, qui s’établit sur une base prudente et dans une stratégie de long terme.
Le Japon pourrait donc revenir à une approche plus pragmatique, en renonçant à des annonces ambitieuses mais en se concentrant plutôt sur des mesures permettant de construire sur le plus long terme une base d’investissements solide en Afrique.
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